Des paysans stars de cinéma ! Pourquoi le film "Ardéchois, paysans montagnards" fait salles combles en Haute-Loire ?

May 02, 2023
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Vendredi, 20 h 30, place Michelet au Puy-en-Velay, Denis et ses trois amis affichent une mine déconfite après s’être vu refuser l’entrée du cinéma.

« J’ai des racines familiales dans le monde agricole. Je voulais revoir comment vivaient les anciens. Mais comme on n’a pas réservé, on sera obligé de revenir ». Un habitant de Chadrac (empty)

À l’instar de ces spectateurs déçus, plus d’une centaine de personnes n’ont pas pu assister à la projection du film de Bernard Peyrol, Ardéchois, paysans montagnards. Avec pas moins de 582 spectateurs sur les deux séances vendredi 28 avril et dimanche 30 avril, le documentaire affichait complet.

À l’entrée, la gérante du Ciné Dyke, Florence Roux, gère les déceptions avec le sourire. Au vu du succès en salle, elle compte programmer de nouvelles séances dans les jours à venir. Et le phénomène ne se limite pas au Puy-en-Velay. Dès l’avant-première à Rive-de-Gier dans la Loire, en janvier dernier, le succès a été immédiat. Au Ciné Grenette à Yssingeaux, le premier en Haute-Loire à avoir donné sa chance au film dans les salles obscures, il totalise déjà 1.650 entrées. Le premier jour de projection, début mars, il y avait tellement de monde que le film a dû être projeté dans deux salles en même temps pour accueillir un total de 250 spectateurs ! Depuis, des portes se sont ouvertes. Jusqu’à permettre à l’œuvre de connaître le succès au-delà de la Haute-Loire, dans la Loire et l’Ardèche. Et ce n’est que le début.

Devant l’immense succès du film "Ardéchois paysans montagnards", de nouvelles séances programmées en Haute-Loire

Dans la même veine, on se souvient de Lucie après moi le déluge, le documentaire de Sophie Loridon qui retraçait le quotidien d’une vieille femme vivant dans un village près de Saint-Jeure-d’Andaure en Ardèche et qui a connu une destinée nationale après un joli succès local.

« On programme régulièrement des films sur le monde paysan - dernièrement Là où le temps s’est arrêté dont l’action se situe dans les monts du Lyonnais ou encore Les immortels. Ce cinéma trouve son public ici : il y a un engouement pour ce monde paysan qui appartient au passé. Cela relate une époque et répond peut-être à un besoin de retour à l’essentiel pour les spectateurs. Pour autant, ce documentaire ne touche pas le public habituel du Ciné Dyke. Il est plus âgé, il appartient au monde paysan ou, a minima, il y puise ses racines ». Florence Roux (empty)

« J’ai gardé la photo de Pierre à la maison »

Dans la salle qui vient de plonger dans l’obscurité, bien calé dans son fauteuil, Christian joue du coude avec son voisin en murmurant un « C’est Pierre ! ». Le film vient de s’ouvrir sur le visage familier de Pierre Pizot, dit Pierre des Boutières. Bernard Peyrol lui avait consacré un documentaire intitulé Le monde rural, échos sonores sur les chemins du Mézenc, en 2006.

Les images ravivent ses souvenirs : « J’étais allé chez lui il y a plus de 10 ans, c’est un copain qui m’y avait emmené en 4x4, mais juste une fois. J’étais entré dans la cuisine, ça m’avait surpris ! J’ai gardé la photo à la maison. Pierre était très gentil, il gardait les bêtes de son neveu à l’époque, il nous avait tout expliqué… Le chien, c’était le même ! Pierre des Boutières avait fait son armée à Salon-de-Provence comme moi ! J’aime bien les films comme ça », se souvient ce Ponot originaire de Langogne, en Lozère.

Mais ce n’est pas à cette figure de Borée, à côté du mont Gerbier-de-Jonc, que s’attache Ardéchois, paysans montagnards. À l’écran, le public découvre de nouvelles vedettes : Louis et Germain, deux frères célibataires, restés à la ferme familiale sur le Mézenc et qui ne concèdent à la modernité qu’une cafetière électrique et la télé. « Ils en sont arrivés là parce qu’ils étaient seuls. S’ils auraient été en couple, ils n’auraient pas vécu comme cela ! C’est parce qu’ils étaient vieux garçons », chuchote sans malice la femme de Christian.

Toujours dans le film, Rémi et Simone, eux, perpétuent la tradition paysanne de la tuade dans leur petite exploitation du côté du Rochepaule en Ardèche. Et puis il y a Georges aussi, « un rebelle qui rejette le progrès, contestataire dans l’âme », comme aime à le décrire le réalisateur. À sa suite, on les accompagne dans les petits gestes d’un quotidien qui s’écoule au rythme des travaux de la ferme et des saisons.

Pour ces paysans, le temps ne presse plus. Mais a-t-il jamais pressé ? Pour ceux qui n’ont pas quitté le pays, sans doute l’idée même ne les a-t-elle jamais effleurés, « deux chèvres et puis quelques moutons, une année bonne et l’autre non… » comme l’a si bien chanté le poète d’Antraigues. Ardéchois, paysans montagnards est finalement - et surtout - un film qui explore le lien entre une terre et les hommes qui l’habitent ainsi que la manière dont elle les a façonnés. À ce titre, le film fait aussi la part belle aux superbes paysages préservés de cette Ardèche si secrète…

Présent exceptionnellement vendredi soir, Bernard Peyrol s’est plié volontiers aux questions du public. Un ciné rencontre intéressant puisque s’y manifestait l’intérêt des spectateurs pour ce film phénomène, à commencer par savoir ce qu’étaient devenus les protagonistes. Si Pierre des Boutières est décédé en 2013, Louis et Germain ont quitté leur ferme pour la maison de retraite comme Georges, qui a préféré un appartement du Cheylard, l’âge avançant. Simone et Rémi, eux, vivent toujours sur place.

Entre anecdotes et souvenirs, le réalisateur Bernard Peyrol est revenu sur son choix de traiter le thème de cette agriculture ancestrale qui a précédé la mécanisation - celle de son enfance passée à la ferme familiale du côté de Saint-Just-Malmont -, à la fin des années 60.

Nul doute, les personnages de son film intriguent le public : « Comment les avez-vous connus ? », « Que vont devenir leurs terres ? », « De quoi vivent-ils ? », « Savent-ils lire et écrire ? », « Comment les filmer et ne pas tomber dans du voyeurisme malsain ? ». À cette dernière, le réalisateur répond que c’est une question qu’il s’est posée à l’époque où il faisait du diaporama mais se défend de tout voyeurisme pour lui préférer « un travail de mémoire ».

Car toute la difficulté de ce documentaire consiste à brosser le quotidien de gens simples sans pour autant en faire des simplets, écueil dans lequel il tombe parfois, il faut bien le reconnaître. De même, ces terres d’altitude en viennent à prendre des allures de jardin d’Eden sur une planète où tout va vite, trop vite pour un citadin qui manque d’air. Mais n’est-ce pas oublier trop vite aussi, ces vies de labeur à en courber l’échine, tels les prémices du paradis perdu ? Et que dire de cette solitude qui confine à un isolement dont on peut légitimement se demander s’il a été un jour choisi librement par ces forçats de la terre ?

Tout ceci n’est qu’affaire de sensibilité, à chacun de se forger son opinion. On laissera donc le mot de la fin à cette spectatrice qui a conclu la rencontre en lançant : « C’est la vie simple et pure qui est filmée. Il ne faut pas se prendre la tête et être heureux, quoi qu’il arrive »

Nathalie Courtial

Source: L'Eveil de la Haute-Loire