" ChatGPT, une intelligence affabulatrice d’autant plus redoutable qu’elle fabrique des pastiches de science assez remarquables "

May 03, 2023
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L’intelligence artificielle peut-elle aider les chercheurs ? Non pas pour écrire des articles et formuler des arguments originaux – ChatGPT propose en général des réponses d’une banalité affligeante – mais au moins pour accomplir des recherches bibliographiques ? C’est dans cet esprit et sans a priori que j’ai questionné ChatGPT sur un point précis : l’évolution historique du nombre des maisons en bambou. Pourquoi cette curieuse question ? Parce que j’ai le sentiment que la diminution de l’intensité carbone de l’économie – il faut en 2020 presque deux fois moins de CO₂ pour générer un dollar de PIB mondial qu’en 1980, selon l’Agence internationale de l’énergie (« Global Energy Review : CO2 Emissions in 2021 », 2022) – cache le fait que les énergies fossiles se sont en réalité insinuées de plus en plus profondément dans la production matérielle.

L’agriculture a accru sa dépendance au pétrole et au méthane avec les progrès de la mécanisation et l’usage croissant d’engrais azotés ; la métallurgie devient plus gourmande en énergie avec la baisse de la teneur des minerais ; l’extension des chaînes de valeur accroît les kilomètres parcourus par chaque marchandise ou composant de marchandise, et donc le rôle du pétrole dans la bonne marche de l’économie. Ces phénomènes ont pour l’instant été masqués par l’efficacité croissante des machines et par le poids des services dans le produit national brut, mais ils n’en sont pas moins des obstacles majeurs sur le chemin de la décarbonation.

Les matériaux de construction fournissent un autre exemple : l’aluminium est plus intense en CO₂ que l’acier, le polyuréthane que la laine de verre, les panneaux de bois que les planches. Enfin, dans les pays pauvres, le béton remplace souvent des matériaux décarbonés comme la terre crue et… le bambou. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), au début des années 2000, un milliard de personnes vivaient dans des maisons de bambou. Une prouesse quand on sait que cette plante ne représente que 1 % du couvert forestier mondial (« World bamboo resources. A thematic study prepared in the framework of the Global Forest Resources Assessment 2005 », INBAR/FAO, 2007). Mais quel est alors l’effet de l’urbanisation du monde tropical sur la construction en bambou ?

Destruction de la connaissance

N’ayant pas trouvé de références, j’interroge donc ChatGPT. Et là, bingo : l’intelligence artificielle me donne cinq articles, aux titres tous plus alléchants les uns que les autres. Par exemple : « The impact of urbanization on bamboo housing in Vietnam », Tran Thanh Trung, Journal of Housing and the Built Environment, 2015, vol. 30, n° 4, p. 657-673. Avec en prime un résumé. Mon cœur s’accélère – il en faut peu à un chercheur.

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Source: Le Monde