L’industrie allemande pourrait quitter le pays à la recherche d’une électricité moins chère

August 02, 2023
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Alors que l’accès à une électricité verte bon marché déterminera où les entreprises industrielles ouvrent des usines, l’Allemagne se trouve en difficulté face à l’énergie hydraulique des pays nordiques ou le nucléaire français. Subventionner l’énergie à tour de bras, comme suggère de le faire le ministre allemand de l’Economie Robert Habeck, est une mauvaise solution, alerte les spécialistes du secteur.

Autrefois considérée comme une puissance industrielle d’envergure, l’Allemagne est, parmi les économies avancées, celle qui affiche les pires résultats, avec une croissance négative du PIB réel de -0,3 % prévue pour 2023, selon une nouvelle estimation du Fonds monétaire international (FMI).

Si le FMI prévoit que le creux actuel sera surmonté d’ici 2024, des experts s’attendent à des changements encore plus importants dans la structure industrielle du pays au cours des prochaines années, à mesure que le monde se rapproche de la neutralité climatique.

L’industrie européenne et mondiale est « en constante restructuration », a déclaré à EURACTIV Alfons Weichenrieder, professeur de politique économique à l’université Goethe de Francfort et chef adjoint du conseil scientifique consultatif pour le ministère allemand des Finances.

« Bien sûr, avoir une énergie bon marché est un avantage compétitif », a-t-il ajouté, faisant remarquer que l’Allemagne est dans une position désavantageuse — par exemple — par rapport à des pays comme la Norvège ou la Suède lorsqu’il s’agit d’énergie hydroélectrique.

Alors que le ministre allemand de l’Économie, Robert Habeck (Verts), avait proposé de « subventionner » l’électricité, afin de la rendre plus abordable pour les industries énergivores, M. Weichenrieder a déclaré que « presque tous les économistes que vous interrogez vous diront que ce n’est pas la bonne chose à faire ».

M. Habeck a affirmé qu’une subvention jusqu’en 2030 était nécessaire pour servir de « pont » jusqu’à ce qu’une capacité d’énergie suffisante provenant d’énergies renouvelables soit développée en Allemagne.

Cependant, le conseil scientifique du ministère des Finances a récemment publié un rapport qui dénonce cette idée, estimant qu’en raison des conditions défavorables aux énergies renouvelables en Allemagne, le pays continuerait d’avoir des prix de l’électricité plus élevés que d’autres pays.

« La question est de savoir si l’Allemagne disposera à l’avenir d’un avantage comparatif en matière de prix de l’électricité », a déclaré M. Weichenrieder.

Alors que le ministère de M. Habeck part du principe qu’ « à l’avenir, nous aurons un avenir énergétique doré en Allemagne, que les prix seront bas et qu’il suffira d’un “pont” pour y arriver », le conseil consultatif a « certains doutes » à ce sujet, a expliqué M. Weichenrieder.

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L’électricité bon marché, facteur clé de la production industrielle

De fait, les prix de l’électricité seront un facteur clé pour déterminer où la production industrielle sera localisée à l’avenir, selon l’expert.

La région de la Ruhr, par exemple, plaque tournante de la production d’acier en Allemagne, « est devenue importante non pas parce qu’elle avait du fer, mais parce qu’elle avait de l’énergie », a déclaré M. Weichenrieder, faisant référence aux gisements de houille qui ont contribué à l’industrialisation de la région.

Mais avec les objectifs climatiques en tête, « le charbon de l’avenir pourrait être l’énergie éolienne, ou l’hydroélectricité norvégienne », a-t-il ajouté.

Par conséquent, M. Weichenrieder estime qu’il n’est pas forcément mauvais de laisser certaines industries énergivores partir à l’étranger, où la production est moins chère. « Il s’agit de mesures économiquement raisonnables », a-t-il déclaré.

Les importations sont abordées avec de plus en plus de scepticisme puisque les pays craignent d’être dépendants d’autres pays. Cependant, selon lui, « d’un point de vue économique, l’intégration internationale des industries et la volonté d’externaliser certaines parties de la chaîne de valeur ont été une bénédiction pour l’industrie allemande ».

Par exemple, en utilisant l’Europe de l’Est comme un « atelier élargi », les entreprises allemandes ont pu bénéficier de coûts de production plus faibles dans cette région.

« Les gens pensent toujours que si une entreprise quitte l’Allemagne, elle s’installera en Chine pour produire à moindre coût, mais elle pourrait aussi s’installer dans des pays comme la Norvège ou la Suède pour bénéficier de coûts moins élevés tout en atteignant ses objectifs de neutralité en matière de CO2 », a déclaré M. Weichenrieder.

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Importation ne rime pas toujours avec risque géopolitique

Le groupe de réflexion Dezernat Zukunft avance des arguments similaires et estime que l’Allemagne devrait se concentrer sur la production en amont de la chaîne de valeur, qui représente déjà la majeure partie de la valeur ajoutée industrielle du pays.

Pour les biens dont la production est très énergivore, il pourrait être plus judicieux de les remplacer par des importations moins chères.

Cela ne créerait pas nécessairement de nouvelles dépendances vis-à-vis d’autres pays, a déclaré à EURACTIV Levi Henze, un analyste politique pour Dezernat Zukunft.

Étant donné qu’il existe plusieurs fournisseurs potentiels à travers le monde, « l’approvisionnement en acier ou en fer réduit en tant que produits intermédiaires pour la production d’acier, est certainement faisable sans prendre de risques géopolitiques », a expliqué M. Henze.

« Dans le secteur de la Chimie également, le marché n’est pas si concentré qu’il faille prendre des risques géopolitiques », a-t-il ajouté, appelant à une perspective plus européenne.

M. Henze a déclaré qu’il n’était généralement pas opposé à une réduction temporaire du prix de l’électricité pour certaines industries.

Toutefois, « dans le cas d’industries très énergivores, telles que l’industrie sidérurgique et la production d’aluminium, où les produits intermédiaires pourraient provenir directement de l’étranger, la question se pose de savoir s’il est vraiment judicieux de les subventionner si fortement », a-t-il déclaré.

Il invite donc le gouvernement à « examiner de près » qui devrait bénéficier de ces subventions et à quel niveau l’électricité devrait être réduite, afin que l’argent ne soit dépensé que pour les industries qui ont réellement un avenir en Allemagne à long terme.

[Édité par Théo Bourgery-Gonse]

Source: EURACTIV France