Après les Mondiaux de natation, le coach de Léon Marchand évoque la suite, dont les JO de Paris 2024
Personne ne connaît mieux le nageur Léon Marchand que son coach Nicolas Castel. L’entraîneur toulousain l'a accueilli dans son club des Dauphins du TOEC à 7 ans et l'accompagne toujours aujourd'hui, même s'il partage désormais son prodige avec la référence Bob Bowman, l'ancien mentor de Michael Phelps.
Quelques jours après la folle semaine du désormais quintuple champion du monde, Nicolas Castel revient sur les performances gigantesques de son élève. L'attente croissante du public, la progression continue de Marchand, son évolution dans l'eau et hors des bassins : les sujets ne manquent pas à douze mois du rendez-vous d'une vie. Discussion avec un coach comblé.
En moins d'une semaine, Léon Marchand a obtenu trois titres mondiaux, battu le record du monde de Michael Phelps sur 400m 4 nages et répondu aux énormes attentes. Qu'est-ce qui ce vous rend le plus fier aujourd'hui ?
N.C. : La gestion de la semaine du début à la fin et la façon dont on a collaboré avec Léon et Bob (ndlr : Bowman, l'autre coach de Marchand). Après, ce qu'il a fait, c'est énorme. Trois titres, c'est fou. Sur le record du monde, je voyais ses temps de passage à chaque 100 m, je contrôlais que tout se passe bien dans les coulées, le relâchement, les virages. Quand j'ai tourné la tête, c'était une joie énorme.
A quoi pense alors le coach qui accompagne ce champion d'exception depuis ses 7 ans ?
N.C. : Oui, il y a un sentiment d'accomplissement énorme. On est passé par tellement d'étapes. Le voir tomber le record du monde mythique qu'on pensait à un moment imbattable, c'est magique. C'est un moment qui restera inoubliable. Je ne suis pas totalement objectif parce que c'est Léon, que je l'entraîne depuis 13 ans. Mais on l'a vu sur le 100 m du relais ou sur le 200, c'est l'un des nageurs les plus complets et rapides sur 100, 200, 400. C'est le meilleur nageur du monde actuellement.
Il y a les titres et la marge sur les autres, puisque ça ne se joue jamais à la touche. Si bien qu'on se demande ce qui peut lui arriver aux JO dans un an…
N.C. : On ne sait pas, c'est de l'humain. Il peut être exceptionnel aux JO ou se casser un bras ou une jambe… Le connaissant, il va tout mettre en œuvre pour être encore plus fort, pour arriver avec de la sérénité et de la confiance. Derrière le plot à Paris, il doit être aussi serein qu'aux Mondiaux au Japon. C'est l'enjeu sur les douze prochains mois. Après, on ne maîtrise pas la concurrence. Il a été capable de raboter 2 secondes sur le 400 m 4 nages en un an, Carson Forster peut raboter lui aussi deux ou trois secondes en un an et ce ne sera plus la même histoire. Notre job, c'est de tout faire pour qu'il conserve cette marge et de la confiance.
Son programme aux JO ? "On décidera au dernier moment"
Il a volontairement choisi de ne pas s'aligner sur le 200 m brasse au Japon alors qu'il avait de sérieuses chances. Faudra-t-il aussi nécessairement choisir à Paris ?
N.C. : L'option qu'on a prise, à savoir garder le plus de portes ouvertes jusqu'au bout, était la bonne. On fera la même chose aux Jeux. Il se qualifiera sans doute sur 200 m brasse et papillon, 200 m et 400 m 4 nages et peut-être encore sur d'autres courses. On décidera au dernier moment s'il participera ou pas. On sait déjà qu'il y a des enchaînements délicats à Paris. Le 200 m papillon est le même jour que le 200 m 4 nages... On peut se projeter, faire des hypothèses. Mais un an avant, faire des choix, ça n'a pas de sens.
En France, les médias, le public commencent vraiment à l'identifier, à découvrir son talent et son potentiel. Aux Championnats de France, en juin, l'élan de sympathie qu'il suscite l'avait un peu submergé. Est-ce que cette attente énorme des Français n'est pas le principal danger qui le guettera dans un an ?
N.C. : Ce n'est pas quelque chose qu'on redoute. On veut travailler avec ça. C'est bien ce qui lui arrive, il est heureux de ce qu'il se passe. Il est bien entouré avec son entraîneur en France, celui aux Etats-Unis, ses parents, son avocate. On fait le tri, on le protège. Ce n'est pas une pression supplémentaire.
Vous parlez des JO de Paris entre vous et qu'est-ce que vous vous dites ?
N.C. : On ne se dit pas grand-chose par rapport à ça. On n'a pas besoin d'en parler, on le sait. Je sais ce qu'il veut.
C'est-à-dire ? Marquer l'histoire, aller chercher un record de médailles pour un Français sur des JO ?
N.C. : Bien sûr qu'il y pense. Mais c'est quelque chose d'intime. Ce qu'on veut c'est qu'il soit content de ce qu'il fait. S'il y a un titre derrière, ce sera extraordinaire.
Léon Marchand après son troisième titre à Fukuoka Crédit: Getty Images
Il a la finesse et un rapport à l'eau très inné
Peut-on être un grand champion en étant très humble comme lui ? Ne faut-il pas nécessairement être vorace et écraser les autres ?
N.C. : Bien sûr qu'il a envie et qu'il est vorace. Mais il ne l'extériorise pas. Il reste modeste et humble, c'est sa nature profonde.
Le problème, c'est que s'il ne ramène qu'un titre des JO, ce serait presque une déception.
N.C. : Ce serait une déception pour le public, pour le ministère peut-être mais pour nous, jamais. Si ça ne fonctionne pas comme il le souhaite, il ne faut pas se dire que c'est banal de ne prendre qu'un titre ou même qu'une médaille aux JO.
Il a construit ses succès à Fukuoka sur des coulées extraordinaires. Comment les travaille-t-il ? Est-ce de l'inné ou de l'acquis ?
N.C. : Tout petit, il n'avait pas ces coulées mais il était à l'aise sous l'eau quand même. A partir de 12 ans, il a pris conscience que ça faisait partie d'une course, que c'était une nage à part entière. Il a la finesse et un rapport à l'eau très inné. Il est fluide de nature. Ensuite, on l'a poussé un peu et il s'est entraîné plus régulièrement là-dessus.
On voit qu'il n'a pas un physique hors-norme, donc il y'a moins de résistance sous l'eau. Est-ce que ça peut expliquer l'efficacité de ses coulées ?
N.C. : Tout à fait. On voit qu'il y a des profils comme lui qui émergent et qui vont très vite. David Popovici, par exemple, n'a pas du tout le même physique que Maxime Grousset, mais il va très vite. Comme lui, Léon a un rapport poids/puissance excellent. Aujourd'hui, il n'y a plus la nécessité comme à une certaine époque d'avoir forcément des gros gabarits pour nager vite. Léon va jouer sur la technique, la vitesse et sur les parties sous l'eau.
Léon Marchand s'apprête à sortir de l'eau lors du 400m 4 nages à Fukuoka Crédit: Getty Images
Au début, Léon n'était pas une évidence
Vous l'entrainez depuis ses 7 ans, quand avez-vous compris que vous aviez un phénomène sous la main ?
N.C. : Quand il était plus jeune, il était plus petit et plus fin que les autres. Ce n'était pas simple pour lui au début à cause de son gabarit. Par contre, il était toujours très appliqué, sérieux et déterminé dans ses courses. Il cherchait toujours à progresser. Au début, Léon n'était pas une évidence. Mais quand il a commencé à grandir… Vers 15 et 16 ans, quand il gagne ses premiers titre de champion de France, qu'il passe en équipe de France juniors, on se dit qu'on tient peut-être un truc.
Marchand n'est donc pas un prodige tombé du ciel, un talent inné ?
N.C. : Ou alors c'est moi qui ne l'ai pas perçu. J'étais un jeune entraîneur et on a évolué ensemble. Je ne l'ai pas senti au départ et ça s'est fait avec nos évolutions respectives. Et puis, on en a vu d'autres des jeunes talentueux et qui ont fini par arrêter à cause de la répétition et de l'intensité des entraînements. Il y a un entonnoir qui se forme et il faut rassembler d'autres critères. Lui avait aussi la détermination, l'équilibre de vie. Très peu de personnes en parlent mais, en natation, s'il n’y a pas de plaisir au quotidien, c'est compliqué de devenir un grand champion. Et lui, c'est au centre de son projet depuis toujours.
Depuis un an, il ne fait que progresser. On a l'impression qu'il n'a pas encore atteint de palier de performances et qu'il n'a pas de limite.
N.C. : C'est vrai. On a déterminé beaucoup de leviers de progression. Il fait encore pas mal d'erreurs comme sur les reprises de nage où il peut être plus efficace. Sur son premier 50 m, il peut être meilleur. Il peut gagner en puissance aussi. Il est loin d'avoir atteint son plafond de verre. Aujourd'hui, je connais peu d'athlètes qui s'entraînent comme lui. Il est impliqué comme personne. Quand on lui demande de faire 15 mètres sous l'eau, il n'en fait pas 14. Il exécute toujours le travail demandé. Tant qu'il prend du plaisir et qu'il s'implique à 100%, je ne vois pas le moment où va s'arrêter sa progression.
Son évolution ? pourquoi ne pas s'aligner un jour sur du 100 m papillon ou du 100 m brasse ?
Il a comme tout le monde des limites physiques…
N.C. : Oui mais derrière, il reste la technique qu'il peut améliorer, il peut optimiser des tas de choses…
Vous êtes en train de nous prouver qu'il peut faire 8 médailles d'or à Paris ?
N.C : (rires) Non, je vois plutôt comment il va gérer sa carrière, comment il va évoluer. Aujourd'hui, il fait du 4 nages, du 200 m brasse et papillon. Sur le 200 m nage libre, il n'est pas maladroit. Sur le 100 m, il commence à gagner de la vitesse, de la puissance. On va voir comment ça va évoluer, il a encore une grosse marge de progression et on va pouvoir actionner plusieurs leviers pour la suite de sa carrière. Je ne vois pas la limite.
Sur les 100 m, vous pensez qu'un jour, il pourrait être au niveau des meilleurs ?
N.C. : Sur le 100 m brasse du relais, on a vu qu'il n'avait pas de grande expérience, il ne maîtrisait pas la nage. Mais s'il la travaille un jour plus sérieusement, pourquoi ne pas s'aligner un jour sur du 100 m papillon ou du 100 m brasse ? C'est une perspective à long terme, pour Los Angeles peut-être, pas pour l'année prochaine.
Source: Eurosport FR