Avec " Dans la maison ", sur Arte, François Ozon teste la limite entre réalité et fiction, sans casser l’émotion

August 02, 2023
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Claude (Ernst Umhauer) et Germain (Fabrice Luchini) dans « Dans la maison » (2012), de de François Ozon. 2012 MANDARIN CINÉMA/MARS FILMS/FRANCE 2 CINÉMA/FOZ/SNC

ARTE – MERCREDI 2 AOÛT À 20 H 55 – FILM

En 2007, dans Angel, François Ozon s’était peint en romancière edwardienne. Cinq ans plus tard, le cinéaste quadragénaire se présente sous les traits d’un lycéen de 16 ans au prénom désuet et androgyne de Claude. Malgré les ondulations blondes de la chevelure et la jeunesse adolescente du corps, le doute est vite dissipé : l’acharnement de Claude à façonner la réalité au gré de ses fantasmes, son ambivalence face aux êtres à qui il donne une seconde vie en en faisant des personnages, tout ça rappelle furieusement François Ozon.

Claude est donc élève de 2de au lycée Gustave-Flaubert, dans une banlieue indéfinie. Et le professeur Germain Germain (Fabrice Luchini) se trouve face à une classe d’une médiocrité uniforme. Tous les jeunes sont des veaux, soupire-t-il auprès de son épouse, Jeanne la galeriste (Kristin Scott Thomas). Tous ? Sauf un, Claude Garcia (Ernst Umhauer), qui, à l’injonction « Racontez votre week-end », répond par le récit d’une intrusion frauduleuse au domicile d’un de ses camarades, qu’il termine par un « à suivre » aguicheur.

La première fois que Fabrice Luchini lit un texte de son élève, on n’entend que la voix formidablement évocatrice du lecteur. Mais, dès le second épisode, Ozon met en scène les aventures de Claude. C’est en tant qu’acheteur d’un billet pour Dans la maison qu’on est entré dans l’intérieur de Germain et Jeanne, dans la salle de classe du lycée Flaubert. C’est comme lecteur des copies de Claude qu’on découvre un autre intérieur, qu’Ozon filme de façon à laisser planer un léger doute quant à sa réalité.

Un labyrinthe de miroirs

Issu d’une famille misérable que l’on ne fera qu’entrevoir, Claude s’est pris de fascination pour une famille « normale », celle de son camarade Raphaël Argol, baptisée « les Rapha », puisque le père a donné son prénom à son fils. Dès son premier texte, Claude a évoqué « le parfum de femme de la classe moyenne » qu’exhale Esther (Emmanuelle Seigner), la mère de Rapha.

François Ozon construit ainsi un labyrinthe de miroirs : les séquences dans la maison des Rapha sont soumises à la critique de Germain Germain. Bientôt, Claude amende ses textes en fonction, et Ozon les remet en scène. La vérité des faits laisse place à une infinité de possibles : est-ce Rapha qui est amoureux de Claude, ou ce dernier qui désire Esther ? Germain s’est-il pris d’une affection érotique pour son élève, ou cherche-t-il un fils de substitution ?

Ces problèmes capitaux sont traités avec une ironie légère et cruelle. Ozon a trouvé en Ernst Umhauer un de ces rares acteurs adolescents qui peuvent inquiéter sans terroriser. Avec Kristin Scott Thomas, impeccable en épouse presque revêche, ils contiennent les débordements de Fabrice Luchini. Si bien que le professeur devient un monstre très humain, baladé par cet élève qui est devenu son maître. Ozon réussit l’exploit de démonter le jouet de la fiction sans en briser le moteur : l’émotion.

Source: Le Monde