On a vu “Bawaal”, la comédie romantique de Bollywood qui banalise la Shoah
En ligne depuis quelques jours sur Amazon Prime, une bluette indienne, “Bawaal”, suscite l’indignation en utilisant la Shoah et le nazisme comme simple prétexte.
Par Valérie Lehoux Partage
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Difficile de définir précisément le premier sentiment qui nous traverse en regardant Bawaal, romance indienne chatoyante dans la pure veine de Bollywood. De la stupeur ? De l’incrédulité ? Du dégoût ? Le film, mis en ligne sur Amazon Prime et disponible en France, provoque en tout cas colère et rejet, notamment au sein de la communauté juive. En cause : sa banalisation du nazisme et de la Shoah. Le centre Simon-Wiesenthal, ONG œuvrant à préserver la mémoire des victimes, a demandé à Amazon de retirer le film. Pour l’instant, en vain.
Mais quel est donc le sujet de Bawaal (« agitation », en hindi) ? Le périple de deux jeunes mariés, Ajay, prof d’histoire incompétent, usurpateur, egocentré et crétin ; et Nisha, jeune femme sensible, sujette à des crises d’épilepsie et malheureuse auprès d’un époux qui la néglige. Pour tenter de raviver une flamme déjà vacillante – et de combler les lacunes professionnelles d’Ajay –, le couple décide de partir en Europe sur les traces de la Seconde Guerre mondiale. Dès le départ, l’argument est spécieux : on sent bien que la Shoah peut y être réduite au rang de prétexte, accessoire d’une bluette. Et c’est en effet ce qui se passe. Mais c’est encore pire que ce qu’on craignait.
Acte 1 : les époux se promènent sur Omaha Beach. Notre héros crétin chausse son casque pour écouter l’audioguide du site… Et son visage se fige. Soudain, il réalise ce qui s’est produit là en juin 1944 (deux minutes plus tôt, il y cherchait un stand de bière). Il comprend tellement fort qu’il se visualise, propulsé au milieu des soldats du débarquement, leur courage, leur peur, les balles qui les transpercent. Les couleurs ont laissé place au noir et blanc – procédé récurrent tout le long du film, chaque fois que les protagonistes se projetteront dans le passé. La scène est assez ridicule, gênante par son esthétisation déplacée, mais à la limite on se dit qu’Ajay vient enfin de connaître son épiphanie historique.
Acte 2 : les voici maintenant à Berlin – après avoir visité la maison d’Anne Frank à Amsterdam. Dans les couloirs du Mémorial, Ajay regarde, songeur, une photo de Hitler. Et lui, l’usurpateur capricieux, obsédé par son apparence, remarque son reflet dans le portrait du Führer. « Une image faite de mensonges et de propagande ne dure pas longtemps », souffle la voix off… Mince alors. On a tous un Hitler en nous, suggère Bawaal. Le malaise grandit. Et quand, pour un petit problème de valise d’où il décide de retirer ses deux paires de baskets, on nous montre le héros fébrile, tel un Juif sommé de tout quitter, avec un nazi dans le dos, pointant son arme sur lui et balançant des « schnell », le film devient franchement irregardable.
Acte 3 : Auschwitz. Le summum. Ajay et Nisha écoutent le témoignage d’un survivant, qui parle de son histoire d’amour brisée dans le camp et prétend que « chaque relation traverse son Auschwitz » (!). Les tourtereaux, presque réconciliés, se voient encore parmi les déportés, en habits rayés, histoire de relativiser un peu leurs petits malheurs (no comment sur les images d’un camp propre, peu peuplé, où des enfants sont assis sur un banc tandis que des femmes discutent tranquillement à l’arrière…). Ils s’imagineront même, acmé d’indignité, au milieu d’une chambre à gaz, avec des Juifs exécutés… ce qui redonnera du peps à leur mariage ! Scène intolérable, au point même qu’on peine à la décrire, et qui vaut à elle seule le tollé suscité.
Bawaal est-il le résultat d’une indigence crasse ou d’un relativisme politique terrifiant, dans un pays de plus en plus nationaliste, et où les historiens s’alarment de l’émergence d’idées dignes du nazisme 1 ? Le réalisateur, nous apprend The Times of Israël, s’est dit en tout cas « un peu déçu de la façon dont certaines personnes ont compris » son film. Bawaal se fend de temps en temps de considérations du genre : « L’Histoire est là pour que nous apprenions de nos erreurs et que nous les corrigions. » Mieux vaudrait surtout ne pas en commettre d’aussi énormes.
Source: Télérama.fr