Coup d’Etat au Niger : " Lorsque les putschistes agitent le sentiment antifrançais au Sahel, ils empêchent de penser les vraies erreurs de la France "
Lors d’une marche organisée par les putschistes contre le président Mohamed Bazoum, à Niamey, le 30 juillet 2023. SAM MEDNICK / AP
Professeur de philosophie au Québec et chercheur en éthique des relations internationales, Amadou Sadjo Barry analyse la façon dont l’hostilité à l’égard de la France s’est propagée au sein des opinions publiques au Niger, et plus largement en Afrique de l’Ouest.
Dès les premiers jours du coup d’Etat, la défiance vis-à-vis de la France est devenue un élément-clé du discours des militaires, comme de celui des manifestants qui les soutiennent. D’où vient ce rejet ?
Il faut distinguer ce qu’on appelle le sentiment antifrançais et le sentiment anti-présence militaire française. Environ 1 500 soldats français se trouvent au Niger depuis que Paris a fait du pays le cœur de son dispositif au Sahel, l’an passé. Nous assistons à une instrumentalisation politique du sentiment d’hostilité contre certains aspects de l’héritage colonial : par exemple, le franc CFA, la coopération militaire. C’est un terreau fertile pour des autorités n’ayant aucune légitimité juridique et qui ont besoin de trouver une légitimité populaire. Le slogan « France, dégage » est devenu une nouvelle modalité de légitimation du pouvoir politico-militaire en Afrique francophone.
Le problème, c’est que, lorsque les putschistes agitent le sentiment antifrançais, ils empêchent de penser les vraies erreurs de la France, mais aussi de voir en quoi les Africains aussi ont pêché. Pourquoi, par exemple, leurs gouvernements ont échoué à mettre sur pied un cadre institutionnel capable d’avoir une coopération d’égal à égal avec la France, mais aussi avec des pays comme les Etats-Unis, la Chine et d’autres encore. Au fond, le sentiment antifrançais est le résultat de l’incapacité des dirigeants africains à penser leurs relations avec le système international depuis les indépendances.
La France n’a-t-elle pas commis des maladresses vis-à-vis de ses partenaires en Afrique ?
Plus que des maladresses, il y a eu des erreurs. Des petites phrases ont été mal reçues, comme celle d’Emmanuel Macron sur le nombre trop élevé d’enfants par femme [le Niger, avec plus de six enfants par femme, a le plus haut taux de fécondité du monde]. Ces attitudes paternalistes ont froissé, à raison.
Il y a des incohérences : lorsque la France donne des leçons de démocratie, mais que son président se déplace à N’Djamena pour assister à la succession dynastique du fils Déby, Mahamat, cela fait polémique. Il vient adouber un allié dont il a besoin sur le plan sécuritaire, mais qui a une gouvernance autoritaire. Cela dit, il faut être réaliste : c’est cela la politique étrangère, cela ne répond ni à la justice, ni au bien, ni au mal, mais à une logique de captation et de domination, comme le disait Raymond Aron. Enfin, les malaises de la diaspora ont un impact sur le continent. La question du multiculturalisme en France, de l’intégration des Français africains à la société interroge en Afrique.
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Source: Le Monde