Bernard Lapasset, grand serviteur du sport français

May 03, 2023
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DISPARITION - Grand patron du rugby français, puis mondial, avant de bifurquer vers les jeux Olympiques de Paris, Bernard Lapasset, disparu à l’âge de 75 ans, a œuvré toute sa vie pour la réussite du sport tricolore.

Une (seconde) vie vouée au sport. Ainsi peut-on résumer la brillante carrière de Bernard Lapasset, décédé à l’âge de 75 ans dans la nuit de mardi à mercredi des suites d’une longue maladie. Patron du rugby français (de 1991 à 2008) puis mondial (de 2008 à 2016), grand artisan de la Coupe du monde de rugby 2007 en France, puis des Jeux olympiques 2024 attribués à Paris, le Gascon a été un grand serviteur du sport français, contribuant à le faire rayonner hors de ses frontières. Un destin incroyable pour ce Gascon que rien ne prédestinait à de si hautes fonctions.

Durant l’été 2011, il avait accordé au Figaro le privilège rare d’une journée passée chez lui, sur ses terres. Une vieille ferme imposante dans le petit village de Louit (Hautes-Pyrénées) avec la chaîne des Pyrénées comme majestueux horizon depuis la fenêtre de son grand bureau, à la décoration très sobre, hormis une photo en compagnie de Nelson Mandela. Un havre au milieu des bois et des champs, où il venait au moins une fois par mois. «Cette maison est mon point d’ancrage, nous confiait celui qui n’était alors “que” président de la Fédération française de rugby. Ici, je reviens aux racines de ma famille.» Né à Tarbes le 20 octobre 1947, il avait passé ses cinq premières années à Lizos, autre petit village à quelques battements d’ailes de palombes - qu’il ne rechignait pas à chasser: «Mais je ne suis pas un tueur. Une dizaine par saison, plus une ou deux bécasses, c’est suffisant…» - de Louit. Un retour aux sources après des années de bougeotte.

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Avec un père fonctionnaire des douanes, le petit Bernard avait, il est vrai, «vécu vingt-trois déménagements» dans sa jeunesse, revenant cependant chaque été dans la campagne de son enfance, où il connut ses premiers bals, fit l’important au guidon de sa première mobylette. En 1980, il avait acheté cette ferme «en ruine». «À chaque fois que j’ai eu quatre sous, je l’ai retapée…» Il en avait fait l’endroit des retrouvailles familiales avec ses deux filles, les jumelles Clarisse et Isabelle, et son fils, Sébastien. Délaissant le costume-cravate, son uniforme quotidien, pour se transformer en papi poule. Il en profitait également pour oublier le tumulte des guerres picrocholines du rugby français lors de longues promenades.

Le rugby m’a donné confiance. Il a été le révélateur de mon identité. Je me suis épanoui dans ce mélange d’engagement, de puissance, de respect Bernard Lapasset

Il était longuement revenu sur son parcours triomphant dans la famille du rugby. Un ballon ovale découvert à… Caen - un comble pour ce fervent supporteur du Stadoceste Tarbais -, retrouvé à Bègles, avant «d’y prendre vraiment goût à Agen», au gré des mutations de son douanier de père. Au fil des années, le fluet ailier qui touchait rarement un ballon s’était retrouvé en deuxième ligne. Un sport qui avait forgé sa personnalité. «Je n’étais pas très doué pour les études. J’ai redoublé plusieurs fois. Puis le rugby m’a donné confiance. Il a été le révélateur de mon identité. Je me suis épanoui dans ce mélange d’engagement, de puissance, de respect. J’y ai trouvé les clés de l’organisation sociale. Et, brutalement, j’ai connu la réussite. Alors que j’avais mis trois ans pour décrocher mon BEPC, j’ai obtenu le bac, puis une licence de droit.»

En 1966, alors âgé de 20 ans, il connaît le bonheur d’être sacré champion de France junior avec le SU Agen. Éphémère jour de gloire avant la rupture. La poursuite de ses études l’amène à Paris. «J’aurais peut-être pu jouer au haut niveau. Mais je n’ai jamais regretté ce choix…» À Nanterre, il obtient sa maîtrise de droit avec mention. En 1969, il sort major de promotion de l’école des douanes et entre au service de presse de cette administration. Pendant dix ans. Avant de réussir le concours de l’inspection principale. Responsable des douanes de Roissy, il sera ensuite promu chef de cabinet du directeur. Sa carrière est tracée. Jusqu’au jour où il lui a fallu choisir entre son métier et le rugby.

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À Paris, le Tarbais joue au PUC. Un jour, Albert Ferrasse, son président à Agen devenu celui de la FFR, le remarque. «Vous voulez savoir comment tout a commencé? Un jour, Albert me dit:“Tu es fonctionnaire! Alors, tu ne fous rien. Viens donner un coup de main à la fédération.”Je sais que c’est difficile à démystifier, mais, au départ, ça ne m’emballait guère. Je m’occupais de la revue fédérale simplement pour récupérer quelques invitations pour le Tournoi. Le déclic est venu quatre ou cinq ans plus tard, quand Ferrasse m’a demandé d’écrire ses éditoriaux. Dès lors, j’ai parlé politique, stratégie avec lui. Je suis entré dans la vie des dirigeants. Mais tous ceux qui disent que j’étais son bras armé fantasment. J’avais 27 ans et lui 55. Je n’avais aucun poids sur les décisions. Jusqu’au jour où j’ai décidé d’entrer dans l’activité élective.»

Un tournant à l’hiver 1991

Son ascension sera fulgurante. En 1988, il est élu président du comité d’Île-de-France. Il doit alors renoncer à jouer au rugby, «car tout le monde voulait se payer le président». Tout s’accélère l’hiver 1991. Jacques Fouroux est parti en croisade contre Ferrasse, président omnipotent depuis un quart de siècle. «Il aurait été simple de me rallier à Fouroux, rappelait Bernard Lapasset. Mais je ne supporte pas les révolutions de palais. Vingt-trois présidents de comité s’étaient alliés à sa cause. Nous étions cinq à n’avoir pas signé sa charte.» La présidence semble promise au Toulousain Jean Fabre. Mais c’est Lapasset qui est élu, le 14 décembre 1991.

Bernard Lapasset au tirage au sort de la Coupe du Monde de Rugby en 2011 en Nouvelle-Zélande. PA Photos/PA Photos/ABACA

Aujourd’hui encore, les vaincus crient à la trahison. Il sera pourtant élu à quatre reprises. Avant d’accéder, en 2008, à la fonction suprême: président de la Fédération internationale de rugby. Un Français “big boss” dans un univers anglo-saxon, le tour de force était à saluer… À la tête du rugby français, il a contribué à maintenir la ligne de crête entre le monde amateur et le rugby professionnel, alors en pleine crise de croissance. Il s’est également évertué à élargir la zone d’achalandage du ballon ovale, trop cantonné au Sud-Ouest. Il a également remporté l’organisation de la Coupe du monde 2007, un incroyable succès populaire qui a fait passer le rugby hexagonal dans une nouvelle dimension. Il était temps, alors, d’embrasser un destin plus grand. Ses deux mandats à la tête de World Rugby, il les a consacrés à faire connaître le ballon ovale dans le monde entier. Ouvrant l’instance faîtière aux pays émergents, attribuant le Mondial 2019 au Japon, favorisant l’intégration de l’Argentine dans la compétition des cadors du Sud, la Nouvelle-Zélande, l’Afrique du Sud et l’Australie.

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Près de trente ans dans ce milieu lui avaient donné envie de relever un autre défi: la candidature française aux Jeux olympiques. Le fondateur de Paris 2024 avait, une fois de plus, remporté le combat, avant de devenir président d’honneur du comité d’organisation. Imposant du haut de son mètre quatre-vingt-onze, il veillait cependant à ne pas se mettre en avant, à placer les athlètes au cœur du projet.

Un grand homme pour le rugby. Son héritage sera éternel sélectionneur des Bleus sous la présidence de Lapasset et ancien président de la FFR

Dès l’annonce de son décès, mercredi matin, les hommages n’ont cessé de pleuvoir tant Bernard Lapasset avait œuvré pour la grandeur du sport tricolore. Ce que n’a pas manqué de souligner la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra: «La France perd un grand amoureux du sport et l’un de ses meilleurs ambassadeurs historiques.» Un constat partagé par Tony Estanguet, le président du comité d’organisation des JO de Paris. «Bernard Lapasset était un dirigeant sportif hors norme. Épicurien, altruiste et bienveillant, je mesure la chance que j’ai eue de grandir à ses côtés. Sa disparition est une perte immense.»

Dans le monde du ballon ovale, l’émotion était tout aussi forte. «Un grand homme pour le rugby. Son héritage sera éternel», a souligné Bernard Laporte, sélectionneur des Bleus sous sa présidence et ancien président de la FFR. «Une figure emblématique du rugby français. Son impact restera gravé dans l’histoire», a prolongé Fabien Galthié, l’actuel sélectionneur du XV de France. Des éloges unanimes.

Source: Le Figaro