Pourquoi Xi Jinping a-t-il soudain téléphoné à Volodymyr Zelensky?

May 04, 2023
372 views

Temps de lecture: 6 min

Mercredi 26 avril, le président chinois Xi Jinping a appelé le président ukrainien Volodymyr Zelensky, pour la première fois depuis le début de l'invasion russe. S'agissait-il d'un vrai geste de paix de Xi Jinping en direction de l'Ukraine? Le président chinois a diverses raisons de souhaiter sincèrement une fin rapide à la guerre entre l'Ukraine et la Russie. Cette ouverture est-elle susceptible de contribuer à y parvenir? C'est une autre question. À moins que les forces géopolitiques sous-jacentes n'évoluent, c'est peu probable.

Fin février, Xi Jinping a fait part d'un vague «plan de paix» en douze points, qui a suffisamment piqué la curiosité de Volodymyr Zelensky, pour que ce dernier sollicite un dialogue. Le mercredi 26 avril, le dirigeant chinois y a donné suite. Et les deux hommes ont eu un entretien téléphonique d'une heure, que Volodymyr Zelensky a ensuite qualifié de «long et significatif».

Abonnez-vous gratuitement à la newsletter quotidienne de Slate.fr et ne ratez plus aucun article! Je m'abonne

Le document officiel de la Chine met l'accent sur la nécessité d'un «règlement politique de la crise ukrainienne». Depuis, Volodymyr Zelensky a nommé un ambassadeur à Pékin et Xi Jinping enverra son représentant aux affaires européennes à Kiev.

Que se passe-t-il, et pourquoi cela se produit-il maintenant? Xi Jinping n'a pas ouvertement fait part de son raisonnement, mais on peut déduire quelques explications plausibles des événements et du contexte récents.

Incertitudes sur le front et propos inflammables de Lu Shaye

Tout d'abord, la toile de fond: Xi Jinping doit se rendre compte que l'accord conclu avec le président russe Vladimir Poutine, début février 2022 –moins d'un mois avant son invasion de l'Ukraine– a été, à un certain niveau, une erreur stratégique. Si les deux dirigeants ont évoqué à l'époque un partenariat «sans limites», Xi Jinping en a posé un bon paquet depuis. Notamment, bien qu'il continue à donner à la Russie beaucoup d'argent et de matériel technique, il ne lui a fourni aucune arme létale pour la guerre.

Il a vu la récente offensive de l'armée russe échouer à faire bouger les lignes de front. Il a sans aucun doute lu des rapports indiquant que la nouvelle contre-offensive ukrainienne –qui va probablement se produire le mois prochain, grâce à l'arrivée d'avions entiers remplis d'armes occidentales, dont des chars et autres blindés– pourrait permettre de reprendre des pans entiers de territoire. Si cela se produisait, la position de Vladimir Poutine, tant militaire que politique, pourrait être confrontée à une érosion rapide, ce qui par capillarité pourrait s'étendre à Xi Jinping.

Deuxièmement, le vendredi 21 avril, l'autre grande campagne diplomatique de Xi Jinping –celle qui vise à faire des avancées politico-économiques en Europe, en partie au profit de la Chine et en partie pour défaire les liens transatlantiques du continent avec les États-Unis– a essuyé un revers douloureux. Cela s'est produit lorsque Lu Shaye, l'ambassadeur de Chine en France, a déclaré au cours d'une interview télévisée sur LCI que les anciennes républiques de l'Union soviétique, qui ont pris leur indépendance en 1991, n'étaient pas des États souverains en vertu des lois internationales.

Ces États, ce sont –entre autres– l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie et, bien entendu, l'Ukraine. Lu Shaye, un des plus flamboyants partisans de la ligne dure au sein du corps diplomatique chinois, n'avait clairement pas eu le mémo qui rappelle que Xi Jinping se façonne une image plus modérée de potentiel médiateur entre la Russie et l'Ukraine.

Le soutien économique de Xi Jinping à la Russie et le fait qu'il n'ait pas dénoncé l'invasion de Vladimir Poutine avaient déjà porté atteinte à la crédibilité de son image. La déclaration de Lu Shaye, extrême même selon les critères de Pékin, menaçait de la réduire en cendres. Contrairement à leur habitude, les porte-paroles chinois se sont hâtés de désavouer les paroles de Lu Shaye. Ce n'est peut-être pas une coïncidence si, seulement deux jours plus tard, Xi Jinping a appelé Volodymyr Zelensky –et affirmé que quelle que soit sa position vis-à-vis de Vladimir Poutine, il considère bien l'Ukraine comme un État souverain.

Mise en place d'une future négociation diplomatique?

Cela fait un moment que Volodymyr Zelensky aspire à avoir un contact direct avec Pékin, dans l'espoir de rompre l'alliance déjà aléatoire entre Xi Jinping et Moscou. Apparemment, il était optimiste en raccrochant –mais ça ne veut pas nécessairement dire que la paix est à portée de main.

Volodymyr Zelensky a de nouveau insisté sur le fait que tout cessez-le-feu devra être précédé d'un retrait militaire de tout le territoire ukrainien occupé et d'un retour aux frontières de 1991 entre les deux pays. Cela signifie non seulement la restitution de la région du Donbass, à l'est de l'Ukraine, mais également de la Crimée, annexée par la Russie en 2014.

Quoi qu'il se produise sur le champ de bataille dans les quelques prochains mois, les responsables américains doutent fortement que Vladimir Poutine puisse restituer la Crimée qui, entre autres choses, contient le port de la flotte de la mer Noire de la marine russe (Nikita Khrouchtchev avait offert la Crimée à l'Ukraine en cadeau en 1954, mais c'était un geste symbolique car l'Union soviétique était la seule entité politique viable à l'époque. Beaucoup de Criméens se considèrent comme des Russes, ou en tout cas le faisaient jusqu'à une période récente; lorsque les troupes russes ont occupé la péninsule en 2014, elles n'ont pas eu à tirer un seul coup de feu.)

L'insistance de Volodymyr Zelensky pour récupérer la Crimée peut être un enjeu de négociation. Quoi qu'il en soit, exiger le retrait des Russes de tous les autres territoires ukrainiens est parfaitement raisonnable. Un cessez-le-feu qui laisserait les troupes des deux camps dans leur position actuelle ne ferait que donner aux Russes une chance de se reposer, de se regrouper, de se réarmer et de mobiliser davantage de combattants pour les prochaines batailles.

Alors voici les questions qui se posent. Vladimir Poutine serait-il capable de se retirer des territoires capturés, malgré la cuisante humiliation que cela lui vaudrait? Le ferait-il si on lui permettait de conserver la Crimée, peut-être en fonction de l'issue d'un référendum réellement libre et juste (que même aujourd'hui, la Russie pourrait tout à fait remporter)? Volodymyr Zelensky le permettrait-il sans essayer d'abord de se battre? Enfin, qui négocierait et ferait appliquer cet accord?

La contre-offensive ukrainienne pourrait être cruciale

C'est là la grande question. Il n'existe aucune puissance supérieure susceptible d'en garantir l'application. Si les États-Unis et la Chine travaillaient ensemble –avec Washington qui exercerait des pressions et fournirait des garanties de sécurité à l'Ukraine, et Pékin qui ferait la même chose avec la Russie–, il y aurait peut-être une chance pour que ça marche. Mais les relations entre les États-Unis et la Chine sont déplorables en ce moment et les perspectives d'une amélioration à court terme dérisoires, excepté éventuellement sur des sujets marginaux, tels que des accords commerciaux.

Même si ces relations se réchauffaient rapidement, il n'y a aucune garantie que Vladimir Poutine ou Volodymyr Zelensky acceptent ce type d'accord, tant que l'un des deux pensera qu'il a une chance de gagner la guerre –et les deux ont encore des raisons de croire que cela reste possible.

Vladimir Poutine peut encore mobiliser des hommes, même s'ils ne servent qu'à absorber les munitions ukrainiennes (on n'avait pas vu une utilisation de soldats comme chair à canon aussi épouvantable depuis la Première Guerre mondiale). Volodymyr Zelensky est sur le point de recevoir de nouvelles armes occidentales, notamment des véhicules blindés, qui pourraient garantir un certain succès à la prochaine contre-offensive.

Les prochains mois pourraient être cruciaux. Si la contre-offensive de l'Ukraine échoue à pénétrer les lignes défensives de la Russie, si la guerre semble condamnée à rester dans une impasse où règnent carnage et dévastation, les pays occidentaux pourraient cesser d'envoyer un soutien militaire et faire pression pour qu'une solution diplomatique soit trouvée. C'est là l'espoir le plus plausible pour Vladimir Poutine à ce stade.

Si l'Ukraine parvient à franchir ces lignes et semble sur le point de «gagner» selon une définition raisonnable du terme, alors Vladimir Poutine pourrait perdre son emprise sur le pouvoir et, un peu avant ce moment, Xi Jinping pourrait se retrouver face au choix difficile consistant à changer de camp ou à mettre les bouchées doubles pour rompre son propre isolement.

C'est le pire cauchemar de Vladimir Poutine –et de Xi Jinping–, et il contribue à expliquer pourquoi le président chinois est en train d'essayer de mettre un terme à la guerre avant qu'elle ne s'enfonce dans sa prochaine incertaine étape. Le problème, c'est qu'il s'y prend peut-être trop tard.

Source: Slate.fr