Contre-offensive de l'Ukraine en préparation : "Les pertes seront très lourdes pour les Ukrainiens", selon l'expert militaire Pierre Servent

May 04, 2023
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Le colonel de réserve estime qu'il faudra des forces ukrainiennes trois fois supérieures aux forces russes pour que leur contre-offensive de printemps soit victorieuse.

"Les pertes seront très lourdes pour les Ukrainiens", craint, jeudi 4 mai sur franceinfo, Pierre Servent, colonel de réserve honoraire et spécialiste des questions de Défense, alors qu’une contre-offensive de Kiev contre les Russes semble imminente. "C’est un rendez-vous décisif pour les Ukrainiens", a-t-il expliqué. Les opérations de sabotage et des attaques de drone récentes par les forces ukrainiennes ressemblent "à des préparatifs d'une offensive", selon lui.

fanceinfo : Les opérations de sabotage et les attaques ukrainiennes par des drones annoncent une offensive de Kiev ?

Pierre Servent : Cela ressemble à des préparatifs d'une offensive. Cela peut être aussi des opérations leurres pour maintenir la pression psychologique sur la Russie pour une opération qui peut intervenir plus tard dans les semaines qui viennent. Mais c'est certain que l'Ukraine ne pourra pas différer trop longtemps sa fameuse offensive, à la fois pour des raisons météo et parce qu'à un moment, il faudra bien qu'elle aille au contact et au combat.

"Dans une offensive, vous avez plusieurs étages, comme dans une fusée. Le premier étage, c'est le fait de frapper les centres de communications de l'adversaire, ses stocks d'essence, ses lignes d'approvisionnement." Pierre Servent, spécialiste des questions de Défense sur francienfo

C'est ce qu'on voit depuis quelques jours, notamment la semaine dernière, avec la frappe assez spectaculaire sur Sébastopol qui normalement devrait être extrêmement protégée. En fait, elle ne l'a pas été puisqu'on a eu ces attaques de drones sur des centres de carburant destinés à la marine de guerre russe à Sébastopol en Crimée. Ça peut ressembler au premier étage de la fusée.

Après, il y a d'autres étages qu'on ne voit pas pour l'instant, à savoir des cyberattaques pour rendre sourd et aveugle le commandement russe, des opérations de partisans sur les arrières des forces russes. Ça peut ressembler à certaines des attaques auxquelles on assiste, mais il faudrait qu'il y en ait de plus grande ampleur. Puis après, vous avez véritablement l'offensive avec le déclenchement de frappes d'artillerie, de frappes aériennes si les Ukrainiens le peuvent et des opérations leurres, c'est-à-dire des opérations qui sont destinées à tromper les Russes et à maintenir la pression.

L'armée russe s'est retranchée. Quelles sont les chances de l'armée ukrainienne ?

Ça va être une difficulté pour l'offensive ukrainienne. Ils ont construit sur 850 km de front plusieurs lignes de protection avec des champs de mines, des dents de dragon, c'est-à-dire des blocs de béton qui rendent plus difficile la progression des chars, des endroits qui sont bunkerisés, des systèmes de tranchées en zigzag. Il y a vraiment sur la ligne de front une difficulté particulière pour les Ukrainiens. Il y a encore beaucoup d'incertitudes. À quel moment ça va être déclenché, à quel endroit, de quelle façon ? Une attaque, deux attaques sur la ligne de front ou plus ?

Il y a une certitude, c'est que cette offensive sera très meurtrière pour les Ukrainiens parce qu'ils vont se retrouver en position offensive et les Russes en position défensive. Dans ce cas de figure, celui qui est à l’offensive doit mettre à peu près trois fois plus de soldats que ce qu'il y a en face pour véritablement espérer l'emporter. Les pertes seront très lourdes pour les Ukrainiens. C’est un rendez-vous décisif pour les Ukrainiens dans les semaines ou les mois qui viennent.

Moscou a dénoncé une tentative d’assassinat des Ukrainiens contre Vladimir Poutine. Cela vous paraît crédible ?

L'idée que le président Poutine ait été visé est tout à fait grotesque. Tout le monde sait, les Ukrainiens également, que le président Poutine ne dort pas au Kremlin, or la frappe a eu lieu vers 2 h du matin. Le Kremlin est une emprise territoriale considérable, qui représente plus d'un hectare de terrain. Il faudrait une pluie de bombes antibunker, pour espérer tuer quelqu'un à l'intérieur.

Quelles sont les hypothèses pour expliquer cette attaque ?

On peut mettre sur la table trois hypothèses avec beaucoup de prudence compte tenu des éléments très lacunaires dont nous disposons : éventuellement une opération spéciale des Ukrainiens, mais certainement pas à partir des 500 km qui séparent l’Ukraine. Le drone semble trop petit et par ailleurs, quand on voit l'explosion, on voit bien que sa charge est faible.

Or les drones avec lesquels les Ukrainiens, à la fin de l'année dernière, ont frappé des bases aériennes stratégiques à 400, 500, 600 km dans le territoire russe, étaient des drones d'une grande dimension et surtout avec des charges explosives importantes. Ça ne semble pas être le cas à travers les images que l'on a vu. C'est peut-être une opération spéciale d'agent secret ukrainien avec des complicités locales à proximité, à quelques dizaines de kilomètres du Kremlin, pour frapper symboliquement le lieu du pouvoir quelques jours avant les célébrations du 9 mai.

Deuxième hypothèse, une attaque sous une fausse bannière. Les Russes montant cette opération-là pour ressouder le pays, pour essayer peut-être de renforcer la conscription ou prendre des mesures plus radicales en Ukraine, mais avec un coût psychologique. Les Russes envoient le message qu'ils sont incapables d'intercepter des drones dans une zone qui normalement est hyper sécurisée. Troisième hypothèse : les combats intestins à l'intérieur des pouvoirs russes, notamment vis-à-vis des extrémistes, ce qu'on appelle les brins rouges nationalistes bolcheviques.

Source: franceinfo