Secte au Kenya : l’effroi après la découverte du " massacre de Shakahola "
Le seul nom de Mackenzie suffit désormais à susciter de l’effroi chez les Kényans. Le pasteur autoproclamé Paul Mackenzie Nthenge est en détention et doit comparaître devant la justice ce vendredi 5 mai, après l’exhumation en l’espace de deux semaines de 109 dépouilles sur son terrain de plus de 300 hectares dans la forêt de Shakahola, près de la ville de Malindi, sur la côte est du Kenya. Les adeptes de sa secte, l’Église internationale de Bonne Nouvelle, étaient appelés à jeûner jusqu’à la mort pour « rencontrer Jésus ». Certains d’entre eux sont encore retrouvés vivants, dans un état critique.
Shakahola, terre « sacrée »
Victor Kaudo suit les fouilles depuis leur commencement. Cet activiste, à la tête d’une organisation de défense des droits humains à Malindi, a été parmi les premiers à alerter les forces de l’ordre sur ce qui se tramait à Shakahola. Assis derrière son bureau, il fait défiler les photos sur son téléphone : des maisons en terre où vivaient les adeptes, des survivants secourus les os saillants ou encore des fosses communes allant d’un à deux mètres de profondeur.
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Le terrain de Shakahola est considéré comme « sacré », explique Victor Kaudo, et a été divisé en plusieurs « villages » : Nazareth, Jérusalem, Bethléem… Il se situe dans un lieu reculé, à une soixantaine de kilomètres de Malindi. Pour y accéder en voiture, les enquêteurs ont dû le débroussailler.
Les habitants du village voisin, Langobaya, avaient l’habitude de voir des fidèles venir faire leurs courses. Le pasteur Mackenzie y était connu mais avait officiellement fermé son Église en 2019 et se présentait comme un agriculteur. « C’est vrai que l’on se demandait pourquoi tant de personnes venaient à Shakahola, reconnaît Musa Menza, chauffeur de taxi, résident de Langobaya. Mais on ne pouvait pas imaginer l’ampleur de ce qu’il s’y passait ! »
Des cas d’assassinats
D’après les enquêteurs, la majorité des corps exhumés sont ceux d’enfants, ce que Victor Kaudo explique par le calendrier de la secte. « Les fidèles sont persuadés que la fin des temps va arriver en juin, raconte-t-il. Les enfants devaient jeûner en premier pour rencontrer leur “Créateur” puis les femmes et enfin les hommes, Mackenzie en dernier. »
La croyance est si forte que les missions de secours ont été « difficiles », poursuit l’activiste. « Lorsque j’ai voulu donner à boire à une femme rescapée au bord de la mort, elle répétait que j’étais le diable, se souvient-il. Elle voulait décéder comme une “sainte” et j’interrompais son processus. »
Les premiers résultats des autopsies montrent que la majorité des fidèles présumés sont morts de faim. Les légistes ont toutefois aussi constaté des marques d’assassinat sur des corps d’enfants : des signes de décès par asphyxie, de traumatisme crânien ou d’étranglement notamment. Les recherches ne sont pas finies mais les fouilles ont été suspendues car la morgue de l’hôpital de Malindi est pleine. Le bilan humain risque donc de s’alourdir. La Croix-Rouge kényane a enregistré près de 500 signalements de personnes portées disparues à son bureau de recherche sur place.
La longue attente des familles
Dans l’enceinte de la morgue, au milieu du personnel en combinaison blanche, des familles patientent, dans l’espoir d’avoir des nouvelles de leurs proches. Habel Farisi est accompagné de son beau-frère. Il est à la recherche de sa sœur, Judith Farasi, partie vivre à Shakahola en 2020 avec ses trois enfants de 14, 10 et 7 ans, déscolarisés contre l’avis de son mari. « Nous avons essayé de la sortir de là mais elle refusait. Elle était convaincue par les sermons qu’elle entendait, explique Habel. Mackenzie répétait qu’aller à l’école, avoir une carte d’identité ou travailler sont des péchés… Ma sœur, elle, répétait qu’elle allait rencontrer Jésus à sa mort. »
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Le téléphone de Judith Farasi est éteint depuis plusieurs semaines mais Habel et son beau-frère gardent espoir de la retrouver, elle et ses trois enfants vivants. Cet espoir, Roseline Asena l’a perdu. Elle a fait le trajet depuis Nairobi, la capitale kényane, car son frère, Kevin Asena, fait partie des complices présumés du pasteur. Roseline a découvert son arrestation en regardant les informations à la télévision.
Kevin Asena avait rejoint la secte entre 2016 et 2017, puis avait convaincu sa femme d’y adhérer. Cette dernière a été secourue mais leurs cinq enfants, âgés de 1 à 15 ans, restent disparus. Roseline ne s’attend pas à les revoir en vie, certains survivants lui ont affirmé que quatre d’entre eux avaient été enterrés. Seule l’aînée pourrait être vivante.
Une interrogation l’obsède : « Comment mon frère, qui n’aurait pas fait de mal à une mouche, a-t-il pu se retrouver dans une telle situation ? » Roseline Asena veut comprendre, pour son fils, dit-elle, pour qu’il ne lui arrive pas la même chose. Mardi 2 mai, elle était parmi les premières arrivées pour assister à une audience du pasteur Mackenzie et de ses complices présumés, dont son frère.
Le système judiciaire en question
Plusieurs familles avaient fait le déplacement. La salle du tribunal de Malindi était pleine. Paul Mackenzie Nthenge est arrivé en chemise à rayures roses et veste de sport assortie. L’air serein, il a échangé quelques mots en riant avec ses codétenus. Cet ancien chauffeur de taxi a ouvert son Église en 2003. Sa chaîne YouTube compte aujourd’hui sept mille abonnés. La procureure a annoncé son intention de le poursuivre pour terrorisme, parmi d’autres chefs d’accusation. Il a été transféré à Mombasa où se situe un tribunal habilité pour ce genre de poursuites. Un autre pasteur, très populaire, Ezekiel Odero, avait aussi été arrêté le 27 avril, soupçonné d’être impliqué dans ce qui est désormais appelé « le massacre de Shakahola ». Il a été libéré jeudi 3 mai en échange du paiement d'une caution.
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Paul Mackenzie Nthenge avait déjà été arrêté en 2017 et en 2019, car il prônait entre autres la déscolarisation des enfants. Il avait à nouveau été détenu en mars après que deux enfants sont morts de faim mais avait été libéré en échange d’une caution. Ces précédentes arrestations soulèvent de nombreuses questions. Comment un tel drame a-t-il pu se dérouler sans que personne n’intervienne ? Habel Farisi explique avoir sollicité l’aide de la police, Victor Kaudo aussi, sans succès.
Le ministre kényan de l’intérieur, Kithure Kindiki, a évoqué ces potentielles failles lundi 1er mai, lors d’une visite à la morgue de l’hôpital de Malindi. Il a expliqué que « tous les agents publics en poste lorsque les événements à Shakahola ont eu lieu vont être mutés », et ce, peu importe leur grade. Une commission va aussi être mise en place pour enquêter sur « les actions ou le manque d’action qui auraient pu permettre la mort de tant de personnes », a indiqué le ministre. Pour Roseline Asena, cette investigation est essentielle. « Tant de vies innocentes ont été perdues, affirme-t-elle. Les familles ont besoin d’obtenir justice. »
Source: La Croix