Hermes intl : Avec un pouvoir d'achat qui s'érode, le pricing power a-t-il atteint ses limites?

May 07, 2023
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(BFM Bourse) - Dans un environnement inflationniste, la question de la fixation des prix est primordiale. Mais à côté, le pouvoir d'achat des consommateurs s'érode, les contraignant à faire des arbitrages dans le dépenses. Alors, le pricing power aurait-il atteint ses limites? Partiellement, répond Mirabaud.

Le pricing power est la faculté pour une entreprise de fixer ses prix sans pour autant que les consommateurs s'en détournent. L'exemple le plus emblématique est celui d'Apple. La marque à la pomme est souvent citée comme un cas d'école. Malgré des iPhones de plus en plus onéreux, la demande reste toujours au zénith pour ces téléphones dont les ventes se sont inscrites en légère augmentation sur un an à 51,33 milliards de dollars au premier trimestre. Il s'agit d'une réelle prouesse alors que la demande s'est effritée pour les appareils électroniques en raison de l'inflation.

A contrario, les entreprises qui disposent d'un faible pricing power sont obligées de comprimer leurs prix et leurs marges pour maintenir leurs ventes. Pour ces sociétés, seul un prix bas est un argument de vente, faute d'un élément distinctif comme une marque forte ou une technologie de pointe difficile à copier.

Et dans un contexte inflationniste, le pouvoir d'achat est sous pression et les ménages ont tendance à sabrer dans leurs dépenses. Et à côté, les entreprises ont de plus en plus de mal à répercuter la hausse de leurs coûts de production sur le prix de vente final. Autrement dit, les consommateurs ne sont plus prêts à accepter de mettre la main au portefeuille aussi facilement qu'en période d'inflation persistante.

Le pricing power semble atteindre ses limites pour certains secteurs, avance dans une note récente John Plassard, directeur des investissements chez Mirabaud. La prochaine vague de publications devrait être un bon indicateur pour voir les sociétés qui sont encore en mesure de fixer leurs prix sans pour autant perdre leur précieuse clientèle. Et selon John Plassard, les entreprises devraient dévoiler une "une baisse des bénéfices plus nette qu’anticipée" dans leurs prochains résultats.

"L'élasticité de l'acceptation"

Le spécialiste ressort de ses vieux cartons une théorie maison appelée "l’élasticité de l’acceptation". Imaginée par les équipes de Mirabaud en août 2011 en pleine crise des dettes souveraines, cette théorie "permet de déterminer jusqu’à quel point un gouvernement peut entreprendre des actions sans que le peuple ne le sanctionne dans les urnes". Il transpose désormais cette théorie pour les prix à payer.

"C’est-à-dire qu’à un moment (aujourd’hui?), le consommateur n’est plus prêt à payer "n’importe quel prix" pour un bien/produit en choisissant soit de baisser de gamme (qualité), soit de réduire la quantité ou soit tout simplement de s’en passer", explique John Plassard.

Les récentes publications d'entreprises sont à cet égard assez "surprenantes", selon le spécialiste. John Plasard cite Mc Donald's qui rencontre "une certaine résistance" en matière de prix dans certaines régions. Les consommateurs du leader mondial de la restauration rapide ont de plus en plus tendance à ne pas ajouter d'éléments supplémentaires à leur commande, "comme des frites".

Malgré une clientèle qui renâcle à ajouter des articles en plus, Mc Donald's a enregistré des ventes en croissance de 12,6% en données comparables au premier trimestre, dépassant nettement les attentes des analystes. Son directeur général, Chris Kempczinski, a expliqué dans un communiqué que ces ventes ont été portées par "un équilibre sain entre les hausses stratégiques des prix des menus et une croissance positive" de la fréquentation des restaurants.

D'autres entreprises parviennent à faire grimper à la fois leurs prix et leurs ventes. PepsiCo a par exemple vu son chiffre d'affaires augmenter de 10% malgré les hausses de prix. Enfin, Procter & Gamble, connu pour ses marques comme Pampers, Ariel ou Gilette, a fait état d'un bond de ses ventes malgré une hausse trimestrielle de 10% de ses tarifs.

Les hausses de prix n'ont aussi pas dissuadé les consommateurs de se rendre dans les restaurants Chipotle, qui a vu leur fréquentation augmenter au premier trimestre, alors même que les prix des menus ont bondi de 10% d'une année sur l'autre. Pour autant, la chaîne de restauration rapide spécialisée dans les spécialités mexicaines a déclaré à CNBC en début de semaine qu'elle prévoyait de suspendre les hausses de prix. D'autres sociétés devraient lui emboîter le pas, ou ont déjà devancé la chaîne de restauration.

"Mais il y a de bonnes nouvelles pour les acheteurs: alors que l'inflation commence à plafonner et que les consommateurs montrent quelques signes de résistance, un certain nombre d'entreprises déclarent qu'elles arrêteront ou ralentiront le rythme des augmentations de prix", notre John Plassard. Pour illustrer ce changement de paradigme, il revient sur la décision de Coca Cola de ralentir les augmentations de prix cette année tout comme le groupe agroalimentaire Conagra qui a déclaré en janvier qu'il n'augmentait plus ses prix pour le moment.

A l'image des consommateurs, les acteurs de la grande distribution comme Whole Foods et le mastodonte Walmart commence à montrer les dents et à s'opposer à la hausse des prix. En France, la résistance s'organise également. "Une multinationale qui nous demande 30% de hausse sans aucune justification, j'arrête de travailler avec elle", avait lancé Michel Biero, directeur exécutif achats et marketing de Lidl France sur le plateau de BFMTV début février.

Quelles entreprises ont encore une marge de manœuvre?

Alors quelles sont les rares entreprises à pouvoir répercuter leurs prix dans un contexte inflationniste qui met à rude épreuve le pouvoir d'achat des ménages. Pour John Plassard, il est difficile d'édicter une tendance sectorielle. Les hausses de prix doivent être observées au cas par cas même si dans les "grandes lignes" certains secteurs comme le luxe, la consommation de base ou certains segments de la santé sont encore en mesure d'augmenter leurs prix sans voir leur clientèle leur tourner le dos. "Le secteur de l’énergie peut dans certains cas avoir un pouvoir de fixation des prix assez élevé, notamment pour les sociétés parapétrolières", ajoute John Plassard.

L'industrie du luxe profite d'une clientèle qui est beaucoup moins sensible aux hausses des prix. C'est bien sûr le cas des fleurons français LVMH ou Hermès dont leur stratégie est centrée sur la désirabilité de leurs marques iconiques et de la qualité de leurs produits. LVMH profite d'un "solide portefeuille de marques" qui distingue le groupe des "sociétés spécialisées dans les biens de consommation de qualité supérieure", a récemment jugé Bank of America.

Outre le luxe, Pernod Ricard est passé maître dans l'art de répercuter les hausses de prix sans que la demande ne recule pour autant. Au premier semestre de son exercice décalé 2022-2023 (clos fin décembre), le groupe qui détient les marques de vodka Absolut, le pastis Ricard, les scotchs whiskies Ballantine's ou bien le champagne Mumm a vu ses ventes progresser malgré une hausse de 10% de ses tarifs.

Pernod a également annoncé vouloir pratiquer de nouvelles hausses de prix au second semestre pour compenser les tensions inflationnistes. "L'effet prix très significatif souligne la désirabilité de notre portefeuille de marques, permettant de maintenir nos marges dans un contexte inflationniste", avait alors déclaré son président-directeur général Alexandre Ricard.

Alors faut-il espérer un retour à des temps où la vie était moins chère, pour reprendre un célèbre slogan? La réponse est malheureusement négative. "Penser qu’il y aura un grand retour en arrière qui se traduira par des baisses de prix importantes serait faire preuve d’une grande naïveté. Ce que l’on peut cependant prévoir c’est que le rythme de ces augmentations va se modérer et que, dans certaines catégories, on commencera peut-être à voir revenir certaines promotions", conclut le spécialiste.

Sabrina Sadgui - ©2023 BFM Bourse

Source: BFM Bourse