Lois anticasseurs : le risque de la surenchère, de 1970 à l’actuel projet du gouvernement

May 07, 2023
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Il y aura bientôt cinquante-trois ans, le 8 juin 1970, était promulgué un texte législatif dont l’interminable intitulé officiel (« loi tendant à réprimer certaines formes nouvelles de délinquance ») se trouva vite effacé par son appellation officieuse : la loi « anticasseurs ». Dans la période d’après Mai 68 marquée par des rixes entre militants d’extrême gauche et d’extrême droite, mais aussi par des occupations d’usines et des séquestrations de patrons, le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas, premier ministre de Georges Pompidou, entendait réprimer sévèrement ce type de débordements.

Pendant les onze années de sa mise en œuvre, jusqu’à son abrogation à l’initiative de François Mitterrand après son élection en 1981, ce texte montra autant de limites dans son application qu’il dévoila les arrière-pensées du pouvoir de l’époque : non pas réprimer les fameux « casseurs », assimilés quasi exclusivement à l’époque aux « gauchistes », mais décourager des manifestations, au cours desquelles chaque participant pouvait être tenu responsable de heurts et de dégradations commis par d’autres et auxquels il n’avait pris aucune part.

Ce principe d’une responsabilité pénale – et pécuniaire – collective ne heurtait pas seulement celui, solidement établi en droit français, de la responsabilité pénale individuelle. Il aboutît, dans la pratique, à l’ouverture d’une longue parenthèse d’arbitraire marquée par la multiplication de procédures expéditives contre des syndicalistes, des manifestants antinucléaires et même les membres du groupe punk britannique The Stranglers, condamnés en 1980 après un concert qui avait dégénéré à Nice !

Depuis les épisodes de violence constatés dans plusieurs villes, le 1er mai, lors de mobilisations contre la réforme des retraites, le gouvernement paraît tester dans l’opinion un durcissement de la législation en matière de manifestations – en d’autres termes, envisager une loi « anticasseurs bis ». Certes, son projet, encore à l’état de gestation, ne devrait rien emprunter au dispositif de 1970, fort décrié en son temps, au point d’avoir été qualifié de « monstre » par certains commentateurs de la matière juridique.

Création de nouveaux délits

Il ne s’inscrit pas moins dans un double mouvement continu d’hyper-réactivité face à l’opinion et d’inflation pénale, alors même que des outils juridiques, fort efficaces, existent déjà en matière de maintien de l’ordre. Il résonne aussi comme la tentative de revenir sur un échec remontant à 2019, lorsque le Conseil constitutionnel avait partiellement retoqué un texte prévoyant notamment une interdiction administrative de manifester pour les éléments les plus dangereux – disposition que le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, semble vouloir remettre au goût du jour.

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Source: Le Monde