Réintégration de la Syrie à la Ligue arabe: "On ne peut s’empêcher d’exprimer un sentiment de trahison"

RFI
May 08, 2023
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Entretien

Après plus de onze ans d'isolement, la Syrie a été réintégrée dans la Ligue arabe. Une victoire pour le régime de Bachar el-Assad, pourtant soupçonné de crimes de guerre. Ce dernier est accusé d'avoir réprimé, dans la violence, le soulèvement de son peuple. Omar Alshogre a passé des années en prison en Syrie. Il raconte y avoir été torturé. Aujourd'hui réfugié entre l'Europe et les États-Unis, ce jeune Syrien milite contre le gouvernement de Bachar el-Assad, au sein de l'organisation Syrian Emergency Task Force.

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RFI : Quelle est votre réaction après la réintégration de la Syrie au sein des instances de la Ligue arabe ?

Omar Alshogre : D’abord, en tant qu’Arabe, je ne peux concevoir la Ligue arabe comme étant une institution soutenant les populations arabes. Il semble que ce soit davantage une ligue qui soutienne les dictateurs arabes, en général. Et en tant que Syrien, je n’ai jamais considéré la Ligue arabe comme un allié du peuple syrien. Toutefois, on ne peut s’empêcher d’exprimer une déception et un sentiment de trahison face à une Ligue arabe qui accueille à nouveau le régime syrien. Parce qu’en réalité, l’organisation envoie le message suivant aux autres dirigeants arabes : vous pouvez tuer, enlever, torturer vos citoyens, un par un, et, finalement, vous serez toujours les bienvenus au sein de nos institutions, politiques ou non politiques. C’est donc un message dangereux que la Ligue arabe envoie aux dirigeants avec qui ils travaillent.

Vous avez été vous-même emprisonné à plusieurs reprises dans les geôles syriennes et torturé. Pouvez-vous nous décrire ce qu’est le régime syrien pour vous ?

Je vais vous donner une idée de ce que c’est que de vivre en Syrie. Les services de renseignements peuvent agir en toute impunité. Ils peuvent faire ce qu’ils veulent. Ils vous voient dans la rue et peuvent vous prendre vos lunettes, votre portable, votre montre. Tout ce qu’ils veulent. Ils peuvent vous enlever ! Et personne ne peut faire quoi que ce soit contre eux, car le régime leur donne un blanc-seing total, pour commettre leurs crimes. Et c’était bien avant la révolution déjà. C’est pour cela que les gens sont descendus dans la rue, pour protester contre le gouvernement et réclamer du changement. Ils voulaient la démocratie et la liberté. Et le régime, aidé par les forces armées, a répondu par la violence. Ils ont tiré sur les gens. Je me souviens de mon ami qu’ils ont tué à côté de moi. C'était la première fois que je voyais autant de sang.

Je me souviens aussi d’avoir été emmené en prison. J’ai été torturé. On m’a forcé à regarder ma main, alors qu’ils m’arrachaient les ongles. On m’a interrogé et on m’a soustrait de faux aveux. On m'a forcé à avouer que j’avais tué un officier alors qu’aucun officier n’avait été tué. J’ai été interrogé alors que je n’avais que 15 ans – vous imaginez 15 ans – quand j’ai été torturé devant mes proches. À 17 ans, ils ont tué mon père, puis mon grand frère, puis mon petit frère.

C’est ce régime que la Ligue arabe réintègre en son sein. Ce n’est pas un régime qui a la volonté d’arrêter de commettre des crimes. Non. Il continue de perpétrer ces crimes. Il y a plus de 130 000 détenus dans les geôles syriennes qui sont torturés. Ce sont des prisonniers politiques. Ils n’ont commis aucun crime.

Craignez-vous qu’après la Ligue arabe, les pays occidentaux normalisent leurs relations avec le régime de Bachar el-Assad ?

En tant que Syrien qui fait tout pour éviter une réhabilitation de Bachar el-Assad, je ferai tout pour empêcher une normalisation des relations entre le régime d’Assad et les pays occidentaux dont les Européens. Car ces pays représentent quelque chose de crucial par rapport aux pays arabes. Nous n’attendons rien des pays arabes, mais nous attendons que les démocraties occidentales se comportent mieux. La grande différence est que nous avons de vraies sanctions de la part des pays occidentaux. Il y a aussi des procédures judiciaires lancées dans différents pays, l’Allemagne, l’Espagne, la France, la Norvège, la Suède et les États-Unis. Et ces procédures judiciaires peuvent d’une façon ou d’une autre empêcher la normalisation du régime d’Assad avec ces pays, en Europe et aux États-Unis. Donc, je n’attends pas de normalisation dans un avenir proche. Et j’espère que cela n’arrivera jamais. J’espère que le régime tombera et qu’un nouveau gouvernement démocratique le remplacera.

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Source: RFI