Intelligence artificielle : " C’est dans un rapport perverti aux connaissances que réside la menace de ChatGPT "
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Vouloir savoir ne signifie pas vouloir apprendre. Cette distance nécessaire entre savoir et apprendre est aujourd’hui mise en cause par des réseaux sociaux qui célèbrent la connivence au lieu d’expliciter les différences et qui n’invitent plus au dialogue, mais enferment dans un entre-soi imbécile. C’est bien dans cette logique délétère que s’inscrit ChatGPT.
Le danger qu’il fait planer sur notre école ne se réduit pas à la fraude qu’il autoriserait, car on trouvera toujours les moyens techniques de la dénoncer. C’est bien plutôt dans un rapport perverti aux connaissances que réside la menace. Comme le dit si justement le chercheur Philippe Meirieu, « ce robot conversationnel, avec sa capacité à fournir des réponses dans un temps record, comble le désir de savoir et tue le désir d’apprendre ».
Car, enfin, à quoi bon questionner, à quoi bon tenter de construire laborieusement des réponses si, d’un seul clic, on peut mobiliser toutes les intelligences du monde pour nous les apporter sur un plateau rutilant ? Demander à un robot conversationnel d’écrire une déclaration d’amour, utiliser le même outil pour signifier à votre ami le plus cher combien la mort de sa maman vous a peiné, deviendra bientôt chose commune ; et on ne se rendra plus compte à quel point cette lâcheté avilit notre intention, combien elle affaiblit notre implication.
On pense souvent que si certains enfants, certains élèves ne lisent pas, c’est parce qu’ils n’ont aucune curiosité, aucune envie de savoir. C’est souvent faux ! C’est au contraire la frénésie, l’empressement, la précipitation qui crée leur affolement et leur blocage. Savoir avant d’avoir appris, savoir sans se donner le temps d’apprendre, voilà ce que désirent ces enfants. Toute attente, tout délai imposé par un apprentissage nécessairement laborieux les tétanise et peut les mettre dans une colère souvent rentrée et paralysante. Pour la plupart, ces élèves, ces enfants, brûlent d’envie de savoir. Ils sont prêts à faire beaucoup pour y arriver, excepté une chose : faire l’effort de construire leur propre sens à partir des choix faits par un autre.
Terrible frustration
Savoir, oui ! Apprendre à construire avec précision, non ! Ce qui les agace jusqu’à les exaspérer, c’est d’être confrontés à une activité dans laquelle les informations ne sont plus régies par les liens de l’évidence immédiate. Une activité qui, comme le dit si bien le psychopédagogue Serge Boimare, leur impose « un temps de suspension, un temps d’arrêt pour une élaboration même minime, parce que ce qu’il y a à comprendre ne se donne pas d’emblée ».
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Source: Le Monde