Georges Kiejman, avocat et ancien ministre, est mort
Georges Kiejman, le 8 mars 2011, à Paris. MARTIN / ANDIA
Ces derniers mois, lorsqu’on lui demandait comment il se portait, Georges Kiejman répondait invariablement : « Comme un homme qui va mourir. » Il y avait certes dans cette assertion brutale un brin de cabotinage, une invitation à être consolé, mais ce qui n’était pas feint, c’était la mort qui s’était bel et bien installée au cœur de ses préoccupations. Depuis 2019, souffrant de problèmes cardiaques, il ne se rendait plus à son cabinet d’avocat du boulevard Saint-Germain dont il « faisait semblant de suivre les affaires de loin », disait-il.
« J’attends le saut final, ajoutait-il dans un entretien au Monde en décembre 2020. En affichant une sérénité, mais en ne l’éprouvant absolument pas, même si j’ai eu une vie magnifique. » Une vie foisonnante, riche, hors norme, protéiforme, qui a débuté dans le malheur et l’extrême dénuement et s’est arrêtée le 9 mai au matin, comme l’a annoncé sa famille. Une vie qui fit le pont entre les malheurs d’un siècle et ceux d’un autre, de l’aube de la seconde guerre mondiale à la pandémie puis à la guerre et en Ukraine et aux tensions sociales du début des années 2020 que ce féru d’actualités suivait de très près.
Fuir la misère et les pogroms
Georges Kiejman est né le 12 août 1932 à Paris de parents juifs polonais qui venaient d’arriver en France avec leurs deux filles aînées, pour fuir la misère et les pogroms. Très rapidement, le couple se sépare et le petit dernier se retrouve en tête-à-tête avec sa mère analphabète qu’il décrira comme « incapable d’instinct maternel », de tendresse et d’affection, dans une misérable et minuscule chambre du quartier de Belleville à Paris. Il ne rêve à l’époque que d’une chose, s’enfuir avec son père, guère mieux loti, mais qui porte beau et multiplie les conquêtes. « J’ai longtemps rêvé d’écrire un livre qui commencerait par cette phrase : “Lorsque j’eus 5 ans, mon père et moi décidâmes de quitter ma mère” », se souvenait-il, mélancolique.
Quand la guerre éclate en septembre 1939, son père s’engage dans l’armée française, ce qui vaut au reste de la famille d’être exfiltré par un train de réfugiés dans le Berry. Commence alors ce que Georges Kiejman appelait sa « vie de petit Berrichon ». Issu d’une famille non pratiquante – il sait à peine qu’il est juif –, il se retrouve un temps dans une institution catholique, apprend le catéchisme et devient enfant de chœur. Il restera dans cette région jusqu’à la classe de 2de puis retrouvera sa mère à Paris en 1946 où elle est rentrée deux ans avant lui. Entre-temps, il a appris que son père, arrêté comme sa sœur près de Toulouse où il s’était installé après sa démobilisation, a été déporté puis gazé dès son arrivée à Auschwitz en 1943.
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Source: Le Monde