On a testé… " The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom ", l’histoire sans fin selon Nintendo
CritiqueEn proposant une suite directe au jeu vidéo « Breath of the Wild » (2017), la série livre la version supérieure et définitive de son illustre prédécesseur.
Au cours des premières heures de Tears of the Kingdom – l’un des jeux vidéo les plus attendus de l’année, qui paraît vendredi 12 mai sur Switch –, le valeureux chevalier Link est invité par la vénérable Impa à s’installer à bord d’une montgolfière de fortune. Tandis que le duo s’élève dans les airs, le joueur découvre un motif géant, surgissant à la manière d’un agroglyphe parmi les herbes. « Dans cette image, lui dit Impa, tu dois identifier le détail qui résout son énigme. »
Ainsi en est-il dans Tears of the Kingdom comme il en a toujours été dans The Legend of Zelda : le monde est une énigme et celui-ci nous invite à prendre de la hauteur pour mieux le scruter. Au joueur d’en percer le code secret, qui, pareil aux traces trahissant depuis le ciel la présence de sites enfouis, en régit l’histoire immémoriale. En convoquant les mythes du temps cyclique, du cataclysme et de l’éternel retour, la trame de Tears of the Kingdom perpétue la portée tragique de la série, en plus d’offrir un très beau rôle à sa princesse éponyme.
Mais, comme dans Breath of the Wild, l’essentiel se situe dans les fugues bucoliques du joueur au cœur d’un territoire démesuré, où l’appel de la découverte le dispute à une succession sans fin de trouvailles. Le phénomène de 2017 avait été perçu comme le renouveau du jeu vidéo en monde ouvert, cristallisant l’association entre une liberté d’exploration et une science des épiphanies ludiques. Toutes les découvertes que nous y faisions, bien que guidées par la main discrète des concepteurs de Nintendo, nous paraissaient si limpides qu’elles donnaient l’impression de surgir de notre seule inspiration.
C’est cette expérience ambitieuse et délicate que Nintendo tente aujourd’hui de réitérer en creusant le sillon du succès record de Breath of the Wild (plus de 30 millions d’exemplaires écoulés à ce jour) dont Tears of the Kingdom constitue une suite presque à l’identique : même royaume d’Hyrule, mêmes graphismes, mêmes systèmes d’armes cassables, de collecte de ressources et de cuisine au coin du feu, mêmes bruitages mélodieux sur des ritournelles fuyantes. Lorsqu’au terme d’une superbe introduction située dans les airs le joueur plonge vers la surface d’Hyrule, c’est un peu chez lui qu’il atterrit.
Bien qu’ils en conservent l’esprit, les donjons principaux sont plus aboutis que dans « Breath of the Wild » et culminent dans des affrontements contre des boss également plus convaincants. NINTENDO
L’art de l’amalgame
Pourtant, Nintendo opère une petite révolution en remplaçant nos capacités spéciales par quatre nouveaux pouvoirs ingénieux. A l’aide d’Infiltration, Link traverse à la verticale le plafond ou la roche, au gré d’espaces qui font la part belle aux cavités secrètes. Grâce à Rétrospective, qui inverse la trajectoire temporelle des objets, une plate-forme en chute libre se transforme en ascenseur, ou un projectile ennemi se voit retourné à l’envoyeur. Avec Amalgame, Link fusionne son équipement avec des objets épars pour créer des outils aussi astucieux qu’insolites : une lance électrique, un bouclier-fusée ou encore une flèche explosive à tête chercheuse. Enfin, le pouvoir Emprise – le plus remarquable d’entre tous – permet de construire des machines à partir de pièces détachées que le joueur manipule avec un naturel déconcertant.
Sur ces aéronefs, ces voitures chenilles et ces engins flottants dont on se défausse aussi vite qu’on les fabrique, la traversée d’Hyrule devient une promenade, ravissante mais capricieuse, où chaque expérience donne lieu à autant de déconvenues que de victoires. En lorgnant du côté du jeu de construction en bac à sable façon Minecraft, Nintendo sollicite la créativité des joueurs et s’assure, plus encore que pour Breath of the Wild, des années de publicité virale au sein de ses communautés en ligne.
Nintendo fait de nombreux clins d’œil à ses licences-phares, même les plus récentes, comme « Splatoon » (ici avec un boss poulpe capable de se métamorphoser en requin) ou, ailleurs, « Arms ». NINTENDO
Cette orientation est pourtant loin d’être gratuite, dans la mesure où ces nouveaux pouvoirs sont le socle d’une proposition ludique originale que le jeu décline avec une inventivité ahurissante. Tout au long de la cinquantaine d’heures que dure au minimum Tears of the Kingdom (qui a de quoi nous émerveiller pendant trois fois plus longtemps), le joueur visite des sanctuaires aux airs de jardins secs proposant des énigmes courtes et enthousiasmantes, puis en émerge avec à cœur de mettre en pratique ces expériences à l’échelle réelle du royaume. Varié, le jeu exploite ainsi toute l’étendue ludique de ses pouvoirs prodigieux.
Si Breath of the Wild portait à son paroxysme le plaisir d’exploration qui façonne The Legend of Zelda depuis ses origines, Tears of the Kingdom sublime le versant technique de la série avec une tactilité inédite. Il faut avoir secouru un corniste coincé dans une crevasse après qu’on a lesté sa charrette de ventilateurs et de ballons, ou bricolé un toit précaire au-dessus d’une barrière de ronces sous la pluie afin d’y mettre le feu, pour comprendre que l’aventure épique peut aussi être celle de l’invention pratique.
Héros du peuple, Link rallie des compagnons de tous bords à sa cause et voyage à travers un royaume d’Hyrule plus vivant que jamais. NINTENDO
Une épopée en guise de guérison
Héros ingénieux, Link (et par extension le joueur) est acclamé aux quatre coins du royaume comme le héraut d’un lien retrouvé entre les différentes peuplades : les volatiles Piafs, amphibies Zoras, robustes Gorons, amazones Gerudo, ainsi que les ancestraux Zonai – gardiens d’une Atlantide céleste dont les vestiges flottants ont réapparu au-dessus d’Hyrule. Comme toujours, c’est à nous de rassembler les morceaux épars de ce monde en lambeaux afin d’en restaurer la grâce d’antan, cette fois en empêchant la renaissance d’une épouvantable momie vivante en roi démon. Pour ce faire, nous naviguons entre trois niveaux distincts : les îles flottantes du ciel, qui sont comme des petits mondes à la Super Mario, la surface toujours plus luxuriante d’Hyrule, et les profondeurs lugubres du royaume – des étendues souterraines dignes d’Elden Ring où Link doit peu à peu faire la lumière.
Relatée de façon fragmentaire, la trame principale se penche sur des événements dramatiques qui ont eu lieu dans un passé lointain… mais qui pourraient trouver leur résolution dans le présent. NINTENDO
Bien entendu, tout le plaisir du jeu consiste à sauter (très littéralement) d’une strate à l’autre, en s’abandonnant à une exaltation qui n’a d’égale que l’étendue de ce monde pétri de rencontres cocasses, de villages rustiques et d’histoires fantastiques – un monde où l’on se verrait bien vivre. Plus rien n’arrête le mouvement incessant de Link, véritable ludion : dans un même élan, il s’envole vers le sommet d’une île au firmament pour mieux retomber en parapente dans l’abysse d’une crevasse, s’enfonçant des kilomètres sous terre. A cette boucle enivrante, il faut ajouter toujours plus de révélations spectaculaires : ici, un saut de la foi dans l’œil d’un cyclone, là, un puzzle de roches en lévitation formant l’image d’une larme, et parfois des nuits entières passées à suivre des lapins blancs ou à chasser les dragons. C’est dans ces plongées hallucinées que nous apprenons à guérir le monde.
L’avis de Pixels en bref
On a aimé :
une suite qui s’appuie sur les fondations hors pair de Breath of the Wild pour mieux les transcender ;
des mécaniques de jeu originales exploitées avec créativité à travers une sidérante variété de situations ;
un jeu-monde aux aventures inépuisables.
On n’a pas aimé :
s’emmêler les pinceaux dans les interfaces de sélection et s’égarer dans le fourre-tout de l’inventaire ;
une poignée de séquences ratées, rares mais frustrantes.
C’est plutôt pour vous si…
vous n’avez pas eu assez de votre centaine d’heures passées sur Breath of the Wild ;
vous possédez l’âme d’un aventurier, la logique d’un inventeur, l’endurance d’un sportif de l’extrême, le regard d’un paysagiste et/ou le cœur d’un héros.
Ce n’est plutôt pas pour vous si…
vous avez eu assez de votre centaine d’heures passées sur Breath of the Wild ;
vous êtes allergique aux univers loufoques et naïfs de Nintendo.
La note de Pixels :
7 larmes (de joie) sur 7.
Source: Le Monde