Automobile : comment la France est montée sur le podium européen des batteries

May 11, 2023
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Par Guillaume Guichard, Anne Feitz

Publié le 11 mai 2023 à 18:40 Mis à jour le 11 mai 2023 à 19:37

Et de quatre. Le nouveau projet de gigafactory du taïwanais ProLogium qui devrait être annoncé ce vendredi par Emmanuel Macron, porte à quatre le nombre d'usines de batteries pour voitures électriques qui seront construites d'ici le milieu de la décennie en France. De quoi placer le pays en troisième position en Europe en termes de capacités prévues de production à horizon 2030.

« Nous avions, auparavant, toute la chaîne de valeur pour construire des voitures du XXe siècle, résume le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, aux «Echos». En cinq ans, nous avons bâti les piliers de l'industrie automobile du XXIe siècle. C'est un exploit, car en 2018, il n'y avait rien de tout cela. »

A la fin de la décennie, les gigafactories françaises totaliseront - si chacune voit effectivement le jour et si toutes atteignent leurs objectifs d'expansion annoncées lors de leur lancement - pas moins de 170 gigawattheures de capacité de production. De quoi équiper 3,4 millions de voitures. Soit plus de trois fois la production française de véhicules électriques à cet horizon, d'après les prévisions de S&P Global.

Vers des exportations de batteries

A plus court terme, les gigafactories devraient être en mesure de produire 38 gigawattheures en 2025. Assez pour équiper entre 750.000 à 800.000 véhicules par an, alors que moins de 600.000 véhicules électriques sortiront des usines d'assemblage dans deux ans, toujours d'après S&P Global. La France pourrait donc devenir un pays exportateur de batteries, si ses gigafactories tournent à plein.

« Du point de vue du calendrier, la France a pris de l'avance sur les Allemands : nos usines tourneront avant les leurs, note le PDG et fondateur de Verkor, Benoît Lemaignan. Nous sommes en voie de constituer un énorme écosystème près de Dunkerque, une véritable « vallée de la batterie ». » Le Français Verkor, le franco-allemand ACC, le taïwanais ProLogium et le chinois Envision se retrouveront tous dans les Hauts-de-France.

De quoi rattraper le retard sur la Chine ? « Nous sommes en situation de rattrapage, reconnaît Bruno Le Maire. Il faut être lucide. Nous nous engageons dans l'électrification, un domaine dans lequel les Chinois sont au meilleur niveau. » Quitte à les accueillir en France, pour s'inspirer de ce qu'ils font, comme Pékin l'a fait en accueillant Airbus à l'époque, avant de créer son propre constructeur aéronautique, Comac.

De la place pour tout le monde

Les acteurs français l'affirment : ils seront au niveau. Et il n'est pour l'instant pas vital d'être à la pointe de la technologie. Le besoin en batteries automobiles est colossal, de l'ordre de 850 gigawattheures en Europe à horizon 2035. Il y aura donc de la place pour tout le monde.

« Nous sommes au tout début de l'histoire des batteries, estime Benoît Lemaignan. Les produits actuels répondent à l'immense majorité des besoins. Pour des exigences plus spécifiques, de nouveaux produits vont arriver, avec une différenciation grandissante comme ce fut le cas avec le thermique autour des moteurs turbo, etc. En attendant, le facteur limitant aujourd'hui demeure le volume de production. »

La prise de conscience nationale et européenne date d'il y a trois ans. Les gouvernements français et allemand poussent à la création d'un « Airbus de la batterie » dès janvier 2020. Le volontarisme politique, mais aussi et surtout industriel, aboutit à la création d'un acteur franco-allemand, ACC , en septembre 2020. Quelques mois avant, en juillet, une start-up baptisée Verkor se lançait à Grenoble.

Des subventions colossales

« L'Europe a pris conscience à l'occasion de la crise du Covid de ses fragilités industrielles et, sur les sujets stratégiques comme les batteries, elle a voulu y remédier », résume Matthieu Hubert, secrétaire général d'ACC. Quitte à y mettre de gros moyens. ACC a reçu une aide publique colossale de 1,3 milliard d'euros de la part de la France et de l'Allemagne, validée par Bruxelles.

Dans le même temps voit le jour à Grenoble le projet franco-français de Verkor . Ses fondateurs anticipent alors comme d'autres une explosion de la demande des véhicules électriques. Un an après, à l'été 2021, la Commission européenne propose formellement l'interdiction de la vente de véhicules thermiques neufs en 2035.

Dans les Hauts-de-France, Xavier Bertrand comprend vite qu'il ne faut pas rater le coche. « Nous avons sur nos territoires Toyota, Stellantis et Renault, rappelle le président de la Région. Ce virage de l'électrique, nous devions le prendre ! J'ai donc mis en place une équipe resserrée et une foncière régionale pour l'acquisition des terrains et des locaux. Nous transformons le parcours du combattant qu'est habituellement une installation industrielle, en tapis rouge. » Une question de vie ou de mort industrielle, après le traumatisme de la fermeture de l'usine Bridgestone en septembre 2020.

Electricité décarbonée

Industriels et décideurs publics mettent en avant la nouvelle force de la France : de l'Elysée à la communauté urbaine de Dunkerque, les pouvoirs publics ont décidé de travailler en équipe.

Surtout, la France peut attirer les projets grâce à son électricité réputée peu chère et décarbonée. Son mix électrique dégage sept fois moins de CO 2 que celui de l'Allemagne, deux fois et demie de moins que celui de l'Espagne. Un point crucial, alors que les constructeurs scrutent désormais leurs bilans carbone.

Face au rouleau compresseur américain que constituent les subventions de l'IRA - un budget de plusieurs centaines de milliards de dollars -, la France utilise à fond le mécanisme européen d'aide aux filières stratégiques. Il a l'avantage d'apporter un financement dès le lancement du projet, et non pas seulement lorsque débute la production comme c'est le cas outre-Atlantique. De quoi débloquer les projets de petits acteurs et start-up de la batterie comme Verkor ou ProLogium.

Un maillon faible

Le virage industriel vers la voiture électrique ne se limite pas aux gigafactories. L'objectif des pouvoirs publics est bien de créer un écosystème complet. En aval, des projets de recyclage de batteries émergent, porté par le minier Eramet ou encore Orano, allié à un spécialiste chinois, XTC, pour fabriquer des cathodes à partir de matières recyclées.

Il manque toutefois encore un maillon à cette chaîne de valeur française. L'amont des usines de batteries, qui porte sur la transformation du lithium notamment, reste l'apanage des Chinois.

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C'est toutefois en train de changer. Orano et le chinois XTC devraient annoncer, lundi, lors du sommet Choose France, un projet d'usine de cathodes , produites à partir des batteries recyclées. Ce sera une des premières du genre en Europe.

« Nous bénéficions aujourd'hui de beaucoup plus de poids pour faire valoir nos besoins auprès des pouvoirs publics, comme l'accès à une énergie bon marché sur le long terme , et pour attirer les fournisseurs et fabricants de composants », résume Matthieu Hubert. Un cercle vertueux semble enclenché.

Source: Les Échos