Élections en Turquie : Kemal Kiliçdaroglu, l’opposant à Recep Tayyip Erdogan qui espère le renverser
YASIN AKGUL / AFP YASIN AKGUL / AFP
TURQUIE - « Nous apporterons la paix ! » Sa notoriété n’a pas encore dépassé les frontières de la Turquie mais ses promesses de liberté suscitent un immense espoir pour une grande partie de la population turque, éprouvée par les dérives autoritaires de Recep Tayyip Erdogan, par une crise économique persistante et par des dysfonctionnements de l’État mis en évidence par le séisme meurtrier de février dernier.
À 75 ans, Kemal Kiliçdaroglu espère mettre fin au règne du président sortant et promet de restaurer la démocratie dans le pays à l’issue des élections législatives et présidentielle organisées ce dimanche 14 mai. Le candidat de gauche est le favori des sondages, un exploit dans un pays où Erdogan et son parti l’AKP (Parti de la justice et du développement) dominent la vie politique depuis 20 ans. « La Turquie va retrouver la lumière » , promet-il.
Kemal Kiliçdaroglu – prononcer « kilitchdarolou » – n’est pas un inconnu sur la scène politique turque, explique au HuffPost Bayram Balci, chercheur et ancien directeur de l’Institut français d’études anatoliennes à Istanbul. Après une carrière de haut fonctionnaire, cet économiste de formation « a longtemps dirigé un parti d’opposition, le CHP (Parti républicain du peuple), et il était perçu comme peu charismatique. Mais il y a un tel niveau de lassitude face à Erdogan que cela est devenu un atout. Haranguer les foules comme le fait le président sortant, faire campagne en criant sur les toits, ça ne marche plus ».
Campagne « énergique et créative »
Après que le maire d’Istanbul Ekrem Imamoglu a été empêché de se présenter en raison d’une condamnation judiciaire très politique, son profil a permis à Kiliçdaroglu d’unir sur son nom une vaste coalition de partis d’opposition – avec le soutien implicite des Kurdes du PKK. Leur seul véritable objectif commun est de déboulonner Recep Tayyip Erdogan.
Depuis, le candidat mène une campagne bien organisée, « énergique et créative. Ses meetings sont bondés et animés », souligne dans une note Soli Özel, spécialiste des relations internationales à l’Institut Montaigne.
Le dernier grand meeting de campagne, samedi dernier à Istanbul, s’est terminé « tard dans la nuit en musique et en danse dans une ambiance de fête, la foule des participants refusant de quitter les lieux, comme si rien ne devait interrompre cette dernière ligne droite avant l’élection », rapporte Le Monde. Une réunion publique qui rivalisait avec celui du président sortant, comme vous pouvez le voir dans la vidéo ci-dessous :
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Il faut dire que Kemal Kiliçdaroglu a su trouver les mots pour toucher la population, en particulier lorsqu’il a annoncé en février son refus de payer sa facture d’électricité pour dénoncer la hausse du coup de l’énergie et, plus globalement, l’inflation galopante dans le pays. Une prise de position qui a rencontré un large écho – en particulier sur Twitter avec le hashtag #JeNePayePasMaFacture (« #FaturamıÖdemiyorum »).
Discours rassembleur et inclusif
Sa popularité a également fait un bond lorsqu’il a abordé sa foi, annonçant faire partie d’une branche particulière de l’islam. « Sa vidéo […] dans laquelle il reconnaît son identité alévie et affirme que l’important n’est pas l’identité de naissance, mais la personne que l’on choisit de devenir, a battu tous les records sur YouTube, avec plus de 100 millions de vues », souligne Soli Öze.
« Un président alévi, ce serait une première… et cela ne crée pas de problème particulier ! Même s’il essaie, Erdogan n’arrive pas à titiller son opposant sur ce point », observe Bayram Balci. Le président sortant et son camp ne se sont pourtant pas privés de déclarations chocs et de propositions clivantes, traduisant leur fébrilité à l’approche du scrutin.
Porteur d’un discours rassembleur et inclusif, Kemal Kiliçdaroglu adopte une stratégie inverse, sur la forme mais aussi sur le fond. « Il a un programme de gauche, avec la défense des minorités ethniques [kurdes, mais pas uniquement], religieuses, sexuelles… C’est le parti le plus proche, sur l’échiquier politique, de l’égalité entre les femmes et les hommes en politique, avec une sensibilité écologiste », résumait il y a quelques jours la chercheuse Lucie Drechselova sur France culture.
Retour de la démocratie
Plus largement, Kemal Kiliçdaroglu fait campagne sur le retour des libertés après le tour de vis sécuritaire de Recep Tayyip Erdogan. « Notre République sera couronnée de démocratie », promet le candidat, qui veut mettre fin avec « le régime d’un seul homme » en supprimant le régime présidentiel.
« Le programme de la coalition comporte 250 pages, avec des promesses sur lesquelles le président pourrait agir rapidement, en particulier sur le retour à l’État de droit, la restauration d’un fonctionnement normal des institutions et la sortie d’un régime autoritaire », décrypte Bayram Balci auprès du HuffPost. Kemal Kiliçdaroglu s’est notamment engagé à ne pas confisquer le pouvoir : après avoir « restauré la démocratie » et limité les pouvoirs du président, il promet de rendre son tablier pour s’occuper de ses petits-enfants.
« D’un point de vue économique, la philosophie est de relancer le pays en le rendant plus attractif. Il s’engage aussi à agir sur l’inflation, tout en sachant que cela sera extrêmement compliqué », poursuit Bayram Balci.
La question de la transition
Pour espérer arriver au pouvoir, Kemal Kiliçdaroglu pourrait être contraint à passer par un second tour le 28 mai prochain, à moins que le retrait d’un candidat de gauche dissident dans la dernière ligne droite de la campagne ne lui permette de déloger Erdogan dès ce dimanche.
En cas de victoire, de nombreux observateurs craignent également une difficile transition. Un scénario auquel ne croit toutefois pas le chercheur Bayram Balci : « En 2019, l’AKP a contesté la victoire de l’opposition lors des municipales à Istanbul. Cela s’est montré contre-productif avec une victoire encore plus large d’Ekrem Imamoglu. » Et le spécialiste de conclure : « Je pense que ce sera un très grand changement en Turquie. »
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Source: Le HuffPost