"Le sol n'a jamais été aussi sec" : à Alcoy, en Espagne, l'attente sans fin de la pluie

May 13, 2023
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100 jours sans pluie

Ricardo Ferri, un agriculteur qui a perdu toutes ses céréales à cause de la sécheresse, montre son sol craquelé après 100 jours sans pluie, le 10 mai 2023.

De notre envoyée spéciale en Espagne – À Alcoy, petit village de la province espagnole d'Alicante, il ne pleut plus depuis des semaines. Sans eau, Ricardo Ferri, à la tête d'une petite exploitation familiale de céréales, a progressivement vu toute sa production annuelle disparaître. Angoissé, il envisage aujourd'hui de transformer totalement son activité. Dernière solution avant de se résoudre à vendre son domaine. Reportage.

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Ricardo Ferri n'a pas vu une goutte de pluie depuis plus de 100 jours. Aucun nuage n'a arrosé ses champs de céréales depuis le 2 février. "Du jamais vu", assure tristement ce cultivateur de 56 ans. À la tête d'une exploitation familiale de 55 hectares à Alcoy, dans le sud-est de l'Espagne, il a vu semaines après semaines sa production se réduire comme peau de chagrin. Aujourd'hui, toute la récolte est définitivement perdue et, avec elle, 22 000 euros de recettes se sont évaporées.

"En cinquante ans, je n'ai jamais vu un sol aussi sec. Il n'y a pas une seule goutte d'humidité. Rien ne peut pousser", s'exclame-t-il parcourant le sol craquelé de ses parcelles. Habituellement, en ce début du mois de mai, les épis de blé, d'orge et d'avoine devraient être luxuriants. "Là, ils mesurent à peine quatre centimètres au lieu d'un mètre. Leur croissance s'est complètement interrompue à cause du manque d'eau."

La sécheresse asphyxie 80 % des terres agricoles non irriguées en Espagne, selon le principal syndicat agricole. © Mehdi Chebil, France 24

La région est habituée à l'absence de pluie. Et Ricardo Ferri, comme ses parents et grands-parents avant lui, a adapté son travail à cette réalité en suivant les principes de l'aridoculture – l'agriculture en zone aride, pratiquée notamment en Afrique. Les céréales qu'il fait pousser nécessitent ainsi peu d'eau et le terrain est en légère pente pour aider la pluie à y ruisseler. "Mais cela a ses limites, il faut toujours, quand même, un minimum vital d'eau pour que les cultures survivent", insiste-t-il.

Autour de ses champs, quelques amandiers et oliviers – des plantes elles aussi peu demandeuses d'or bleu – lui permettent habituellement d'avoir un petit complément de revenus. "Cette année, elles souffrent aussi. Leur production n'est pas encore complètement fichue mais il faut à tout prix qu'il pleuve bientôt", s'alarme-t-il, montrant déjà quelques fruits tombés au sol avant d'avoir pu mûrir.

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"C'est le coup de grâce"

Contrairement à une grande part des agriculteurs espagnols du sud du pays, le quinquagénaire aux traits tirés ne peut pas compenser la sécheresse actuelle avec un système d'irrigation. "Le puits le plus proche se trouve à plusieurs kilomètres dans les montagnes et le seul cours d'eau qui passe à proximité a un débit si bas qu'il permet à peine aux animaux sauvages de la zone de boire", explique-t-il.

Au total, selon le comité de l'agriculture (Coag), l'un des principaux syndicats agricoles, 80 % des cultures de céréales non irriguées comme celles-ci sont actuellement "asphyxiées" par le manque de précipitations, soit environ 5 millions d'hectares. "Beaucoup de mes collègues sont prêts à mettre la clé sous la porte", témoigne le quinquagénaire, maussade.

D'autant plus que perdre sa récolte à cause de la sécheresse apparaît comme une bien triste ironie du sort pour le quinquagénaire. Car en 2022, c'est l'inverse qui s'est produit : "Des pluies diluviennes sont tombées en mars et avril et j'ai déjà perdu près de 80 % de ma production", se souvient-il. Vestiges de cet épisode, des rigoles sont creusées entre chaque champ. Des fossés qui apparaissent désormais comme complètement inutiles.

Ricardo Ferri marche dans son champ de blé victime de la sécheresse, à Alcoy, à 100 kilomètres au sud de Valence, le 9 mai 2023. © Mehdi Chebil, France 24

"À cela, il faut encore ajouter les effets de la pandémie de Covid-19 et de la guerre en Ukraine qui ont entraîné une augmentation des coûts de production – des engrais, du gazole, des produits phytosanitaires", poursuit-il. "Cette sécheresse, c'est vraiment le coup de grâce."

Le 19 avril, les trois syndicats agricoles ont été reçus au ministère de l'Agriculture pour réclamer des "aides extraordinaires d’urgence" pour les cultivateurs concernés. En attendant la décision du gouvernement, seuls des soutiens financiers alloués par l'Union européenne permettent à Ricardo Ferri de se maintenir à flot.

Des phénomènes météorologiques de plus en plus intenses

Dans sa tenue de travail, l'agriculteur apparaît résigné. "Année après année, il faut faire face à des phénomènes météorologiques de plus en plus intenses", déplore-t-il. "Jamais en quarante ans je n'avais perdu une récolte à cause de la pluie ou de la sécheresse."

"Je ne suis pas scientifique, je ne sais pas dans quelle mesure cela est lié au dérèglement climatique. Ce que je sais, c'est que nous passons maintenant de l'hiver à l'été sans transition. Il peut faire zéro degré, et une semaine plus tard, il fait près de 30 degrés. Tout le système est fragilisé."

Pour autant, Ricardo Ferri assure ne pas vouloir baisser les bras. Pour le moment, il envisage plutôt d'entamer une grande réorientation de sa production. "Peut-être en plantant d'autres types de céréales qui survivent en climat plus aride ? Peut-être en augmentant la production d'olives ?" lance-t-il. Des pistes qui seraient longues à mettre en place mais qui permettraient, peut-être, de s'adapter à un terrain de plus en plus désertique. Selon les experts climatiques, l'Espagne – comme tout l'espace méditerranéen – devrait être l'une des régions du monde qui se réchauffera le plus vite sous l'effet du dérèglement climatique. Selon l’ONU, 75 % du territoire espagnol pourrait ainsi, à terme, devenir un désert. En attendant, l'agriculteur propose de louer ses engins agricoles ou d'effectuer des travaux dans les champs moyennant un maigre salaire.

"Ma mère est née ici. Mes parents travaillaient ici. Aujourd'hui, mon fils voudrait reprendre ma suite. J'en serais très, très heureux mais il faut être sûr qu'il pourra gagner sa vie", conclut Ricardo Ferri, en levant une nouvelle fois les yeux au ciel. Son application météo prévoit quelques gouttes de pluie dans les prochains jours. "Ce sera déjà ça."

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Source: FRANCE 24