Elections en Turquie : " Micro libre ", l’émission sur YouTube qui fait basculer l’opinion des jeunes

May 13, 2023
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BABALA TV

Une scène de théâtre quelconque, un portrait de Mustafa Kemal Atatürk (fondateur de la République turque) en fond, un modérateur en tenue invariablement noire, un invité installé dans un large fauteuil, sous le feu des projecteurs, face à une salle comble : le dispositif de l’émission « Micro libre », animée par le youtubeur Oguzhan Ugur, ne saurait être plus basique. L’ancien scénariste et acteur de 39 ans y assure la modération d’un échange à bâtons rompus entre la salle et une personnalité politique, pendant plusieurs heures, le tout filmé par une dizaine de caméras. Sans notes, les hommes et femmes politiques sont sommés de répondre à toutes les questions, et à rendre des comptes, à un public prêt à « en découdre ».

« Par quel biais êtes-vous devenu professeur dans les établissements de la cemaat [la confrérie de Fethullah Gülen, accusée d’avoir fomenté le putsch du 15 juillet 2016] », demande une jeune femme voilée à l’ancien premier ministre et ancien ministre des affaires étrangères Ahmet Davutoglu. Ce dernier se crispe, nie tout lien avec le prédicateur en exil aux Etats-Unis – devenu l’ennemi juré d’Ankara –, avant d’être confondu par l’intervention d’un autre participant, un jeune homme qui colle le micro sur son téléphone pour faire entendre un enregistrement de la voix de M. Davutoglu rendant hommage à Fethullah Gülen. Un fou rire généralisé et des tonnerres d’applaudissements éclatent dans la salle.

Dans une société très polarisée, rongée par l’autoritarisme du président, l’émission d’Oguzhan Ugur propose un débat public affranchi de la censure et remet la politique au centre des discussions. Une bouffée d’air frais dans un environnement médiatique saturé par la communication gouvernementale. Les anonymes se succèdent au micro, les questions s’enchaînent avec une irrévérence et une liberté de ton à faire pâlir les polémistes les plus aguerris.

Des millions de vues

« Nous avons été poursuivis pour incitation à la haine », précise toutefois le présentateur qui n’a pour opinions affichées que le kémalisme et la liberté d’expression. L’émission politique du moment, qu’il a créée, fait et défait les réputations en quelques heures. L’apparition du député du Parti ouvrier de Turquie (TIP), Baris Atay, a suscité un regain d’intérêt pour la petite formation, qui a enregistré dix mille adhésions supplémentaires dans les semaines qui ont suivi l’émission, une augmentation de près 30 %.

Inversement, le candidat à l’élection présidentielle Muharrem Ince, du parti Memleket (Patrie)– qui s’est retiré de l’élection, jeudi 11 mai –, a vu sa cote de popularité dégringoler à la suite de son apparition dans l’émission au mois d’avril. D’après les enquêtes d’opinion de l’institut de sondage Konda, il serait passé de 10 % à 2,2 % des intentions de vote en l’espace d’un mois.

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Source: Le Monde