Elections en Turquie, en direct : bataille de chiffres entre Erdogan et Kiliçdaroglu, suivez les résultats du premier tour de la présidentielle
Erdogan face à la tentation incendiaire
En cas de nouveau blanc-seing électoral, le chef de l’Etat sortant pourrait, avancent de nombreux critiques et observateurs, faire définitivement glisser le pays vers un régime encore plus autoritaire. Kiliçdaroglu, de son côté, a annoncé vouloir restaurer la démocratie et l’Etat de droit.
Mais une victoire de l’opposition ne signifierait pas nécessairement que la Turquie prendrait une nouvelle direction. On ignore en effet si Erdogan accepterait la défaite ou si, comme aux municipales d’Istanbul, il pousserait à de nouvelles élections en cas de résultats trop serrés, ou encore s’il lâcherait ses partisans contre son successeur. Lui-même a encore affirmé, lundi, lors d’un meeting à Ankara, en citant nommément son adversaire : « Ma nation ne cédera pas le pouvoir à quelqu’un qui a été élu président avec l’aide du PKK [Parti des travailleurs du Kurdistan, en guerre contre l’Etat turc]. »
Bluff ou menace réelle ? Pendant près de deux décennies, l’un des plus grands talents de Recep Tayyip Erdogan a été sa capacité à transformer les crises en opportunités politiques. On ne compte plus le nombre de fois où il a su rebondir et reprendre la main. Jusqu’à ces derniers mois. Son image s’est sensiblement dégradée auprès de larges pans de la population, y compris dans ses bastions électoraux. Partout, une nouvelle cohorte d’électeurs, dont beaucoup n’ont jamais vécu sous un autre règne que celui d’Erdogan, semble désormais se mobiliser pour le changement.
Aussi, pour la première fois depuis son ascension à la tête du pays, en 2003, Erdogan fait face au dimanche électoral le plus incertain de son parcours politique. Jamais l’homme encore fort d’Ankara et son Parti de la justice et du développement (AKP), la formation du chef de l’Etat, n’ont eu à craindre à ce point la perte de leur pouvoir.
En cause, l’usure, bien sûr, et la fatigue institutionnelle, qui laissent des traces. Tout comme l’érosion continue des droits et des libertés – encore fin avril, la police a arrêté des dizaines de journalistes, avocats, artistes et militants kurdes, parmi lesquels des observateurs de bureaux de vote. Mais aussi, et surtout, la crise économique persistante (la livre turque a perdu 450 % de sa valeur ces cinq dernières années), l’inflation vertigineuse et l’incapacité à fournir des secours d’urgence après le tremblement de terre du 6 février (plus de 50 000 morts et 3 millions de déplacés) : autant de griefs qui ont contribué à maintenir sa cote de popularité à un niveau historiquement bas.
Nicolas Bourcier (Istanbul, correspondant)
Source: Le Monde