En Bretagne, le regain d’activisme de groupuscules d’extrême droite inquiète

May 15, 2023
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« Heureusement, les enfants ne se sont rendu compte de rien. » Samedi, ce jeune père de famille était présent dans la médiathèque de Saint-Senoux (35) quand une grosse vingtaine de militants d’extrême droite, le visage dissimulé, s’est invitée à un atelier lecture donné par trois «artistes drag-queen». Les faits se sont déroulés vers 16 h 30, devant le petit équipement de cette commune de 2 000 âmes, située à une trentaine de kilomètres de Rennes. Une dizaine de bambins, âgés de 3 à 6 ans, y assistaient avec leurs parents.

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« Les militants ont déployé une banderole devant l’entrée. Ils ont crié des slogans anti-LGBT. Ils ont tenté de distribuer des tracts, mais personne ne les a pris. Lorsque la gendarmerie est arrivée, ils se sont enfuis à travers les bois. »

Les militants protestaient contre « un moment de propagande du lobby LGBT pour modeler les consciences des jeunes générations ». Un point de vue partagé par le Rassemblement national. Le 5 mai, le parti de Marine Le Pen a aussi condamné « fermement » cet atelier de lecture en le qualifiant « d’opération de propagande » dans un communiqué.

Ce samedi un atelier de lecture "drag" pour des enfants de 3 à 6 ans est prévu à Saint Senoux.

Face à l'idéologie de la déconstruction, préservons nos enfants ! pic.twitter.com/zhcDQnazIx — Virginie d'Orsanne (@virginieOrsanne) May 10, 2023

Selon nos informations, la médiathèque et la mairie avaient fait l’objet de pressions les jours précédents. Des tracts avaient aussi été distribués dans des boîtes aux lettres. À l’origine de l’action ? Un collectif, baptisé L’Oriflamme Rennes. Ce groupuscule d’une vingtaine de membres actifs est né, début 2023, d’une scission avec l’Action française, une organisation monarchiste, dont les membres ont défilé samedi à Paris aux cris de « À bas la République ! ».

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« Arrière Satan ! »

« Céder à la violence, l’obscurantisme et la bêtise crasse, ça m’a tordu les boyaux. » Samedi soir, Olivier Lepick a lui aussi assisté à une « action » menée par un autre groupuscule d’extrême droite. Le maire de Carnac a dû annuler un concert, organisé dans une église, parce qu’il n’était pas du goût de militants du collectif Civitas. « Une quarantaine de jeunes gens à la nuque bien dégagée », selon l’édile, menaçaient les spectateurs. Une élue a été giflée sous les cris de « Arrière Satan ! ». Des plaintes ont été déposées. « Je condamne très fermement cette violence de nature profondément totalitaire », a indiqué Olivier Lepick sur Facebook. Sa colère et son inquiétude sont partagées au sein de la classe politique face au regain d’activisme des groupuscules d’extrême droite dans la région.

Jusqu’ici, la Bretagne restait pourtant une terre assez aride pour ces derniers, « à l’exception de quelques groupes indépendantistes et d’une assez forte présence de catholiques intégristes non violents », expliquait le politologue Jean-Yves Camus dans nos colonnes début 2019.

Des « signaux faibles »

Depuis, les choses semblent avoir évolué. La nébuleuse de groupes composant l’ultra-droite, connue pour ses divisions et l’ego surdimensionné de ses chefs, se serait renouvelée. Et la campagne d’Éric Zemmour à la Présidentielle aurait participé à décomplexer ses membres, désormais capables de se fédérer sur certains « grands sujets », liés au « grand remplacement », au rejet de l’Islam ou à celui des étrangers.

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Depuis quelques mois, des petites actions, sortes de « signaux faibles » semblent s’être multipliées. Début 2023, la Bretagne a aussi été marquée par l’annulation du projet de centre d’accueil de réfugiés à Callac (22) à l’issue d’une violente campagne d’intimidation. Une séquence inédite dans la région. La semaine dernière, Yannick Morez, le maire de Saint-Brevin-les-Pins (44) a décidé de démissionner et de déménager à la suite de l’incendie criminel perpétré à son domicile, en mars. Le sinistre est survenu alors que sa commune était le théâtre d’une vive campagne de protestations contre un projet prévoyant de déplacer le Centre d’accueil de demandeurs d’asile (Cada) sur un nouveau terrain. Plusieurs manifestations avaient été organisées à Saint-Brevin, à laquelle ont participé des membres des groupes impliqués dans les actions de Carnac et de Saint-Senoux. Cette démission d’un maire, esseulé face à leurs violences, a suscité l’indignation jusqu’au plus haut niveau. L’Oriflamme, elle, s’est, au contraire, félicitée de la décision de « ce maire indigne ». « C’est dans le but d’obtenir de tels résultats que nous militons et nous continuerons, plus déterminés que jamais. »

L'Oriflamme se félicite de la démission de ce maire indigne qui n'est rien d'autre qu'un traître à la nation et à son peuple.

C'est dans le but d'obtenir de tels résultats que nous militons et nous continuerons, plus déterminés que jamais.#SaintBrevin https://t.co/Wim8Gg0XX3 — L’Oriflamme Rennes (@oriflamme_rzh) May 11, 2023

Source: Le Télégramme