Maïwenn : " Je me suis identifiée au parcours de transfuge de Jeanne du Barry "

May 16, 2023
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La comédienne et réalisatrice Maïwenn, à Paris, le 10 mai 2023. CHLOE SHARROCK/MYOP POUR « LE MONDE »

Posant en Jeanne du Barry – roturière et courtisane – pour le film d’ouverture cannois (le 16 mai en salle), Maïwenn s’est identifiée à un modèle qui fut, en son temps, transfuge de classe à la cour du roi Louis XV. Affranchie d’une famille qu’elle a pu qualifier de « planche pourrie », la réalisatrice s’émancipe elle-même très tôt de la tutelle parentale. Actorat. Mannequinat. Mariage avec Luc Besson à 16 ans, rupture cinq ans plus tard, dépression, psychanalyse. La vraie émancipation commence en 2003 avec le féroce déballage de sa vie familiale dans le one-man-show autobiographique Le Pois chiche. Puis le cinéma prend le relais de cette longue reconquête de soi-même, avec six longs-métrages, de Pardonnez-moi (2006) à Jeanne du Barry (2023). L’assujettissement d’autrui et la cruauté mentale y occupent le devant de la scène, combattus en même temps qu’exaltés par un cinéma qui ne s’envisage qu’à l’estomac. Jeanne du Barry, étiquette oblige, calme à cet égard le jeu, mais ne change pas foncièrement la donne.

Le film d’époque n’est pas la première chose à laquelle on pense, s’agissant de vous. Qu’est-ce qui vous y a menée ?

Le même cheminement que pour mes films précédents, c’est-à-dire un coup de foudre immédiat pour le personnage, que j’ai découvert dans Marie-Antoinette [2006], de Sofia Coppola, interprété par Asia Argento. C’est étrange parce que Asia l’interprète comme une femme aguicheuse et vulgaire, qui rote à table dès le premier plan du film, et c’est, en fait, tout ce que Jeanne n’était pas et, au demeurant, tout ce que je ne suis pas non plus. A l’époque, je ne savais rien d’elle, mais j’ai tout de suite senti, malgré tout, que cette fille était proche de moi.

Qu’entendez-vous, au juste, par « coup de foudre » ?

On ne peut pas toujours dire pourquoi. C’est un peu comme quand on tombe amoureuse. Disons que je pressentais qu’il y avait de forts points communs entre sa vie et la mienne. Versailles, je le voyais comme le milieu du cinéma qui, peut-être parce que j’avais été la femme de Luc Besson, m’a rejetée d’emblée, qui m’a traitée avec beaucoup de condescendance et d’agressivité. Je me suis fortement identifiée à son parcours de transfuge.

Vous vous décrivez souvent comme une transfuge, mais ce qu’on connaît de votre mère, bardée de diplômes universitaires, journaliste, actrice, collaboratrice de Chris Marker, en fait plutôt une intellectuelle…

Je ne l’entends pas en termes de prolétariat et de bourgeoisie. Pour moi, cela veut dire passer d’un milieu où il n’y a pas d’argent, où on vit entassé dans un appartement de Belleville, sans chauffage, à un milieu et à une carrière où il y a de l’argent. On peut par ailleurs être un grand intellectuel et ne pas savoir transmettre la moindre chose à ses enfants, pour ne pas dire être maltraitant. Il y avait beaucoup de culture chez mes parents, mais beaucoup trop de violence pour espérer la faire partager. Je me souviens encore que ma mère, quand j’ai eu 12 ans, m’a dit : « C’est une honte, à ton âge, de ne pas connaître Antonioni. » Du coup, je me suis construite, avec mes grands-parents, dans la culture populaire.

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Source: Le Monde