Derrière l’enlèvement du journaliste Olivier Dubois au Mali, les manœuvres et les ratés des autorités françaises

May 16, 2023
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Des soldats français de l’opération « Barkhane » sur la base militaire française de Tombouctou (Mali), le 14 décembre 2021. ANNIE RISEMBERG POUR « LE MONDE »

L’affaire est compromettante pour l’Etat français. Par mesure de sécurité, elle n’a pas été révélée tant qu’Olivier Dubois était otage d’Al-Qaida au Sahel. Une fois le journaliste français libéré, le 20 mars, après 711 jours de captivité, Le Monde, Libération, Radio France internationale (RFI) et TV5Monde ont décidé de révéler les fruits d’une enquête conjointe d’un an et demi. Elle montre que les militaires de l’opération antiterroriste française « Barkhane » ont été informés de son projet de rencontrer un chef djihadiste. Dans un premier temps, ils ont tenté d’utiliser le travail du reporter pour localiser cet émir d’Al-Qaida au Sahel. Puis, jugeant le rendez-vous trop risqué, ils ont renoncé in extremis à l’opération. Mais ils n’ont pas déployé les moyens adaptés pour empêcher l’enlèvement d’Olivier Dubois à Gao, dans le nord-est du Mali, au printemps 2021.

Le 8 avril 2021, Olivier Dubois, pigiste pour Libération, Le Point Afrique et Jeune Afrique, installé à Bamako en 2015, se rend à Gao pour interviewer Abdallah – ou Abdoulaye – Ag Albakaye, un cadre du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), la filiale d’Al-Qaida au Sahel. Le reporter, âgé de 48 ans, pense avoir planifié cet entretien dans la plus grande discrétion. Il est en réalité suivi depuis des mois par l’armée française, comme le démontrent les quelque 180 pages de documents judiciaires français et maliens que nous avons pu consulter.

Pour préparer son reportage, Olivier Dubois travaille avec un fixeur, un jeune Touareg que nous appellerons Kader pour protéger son anonymat. Depuis plusieurs années, ce dernier facilite les contacts entre le journaliste et différentes personnalités du nord du Mali, notamment du GSIM, dont il est proche. Olivier Dubois sait que Kader a déjà collaboré par le passé avec « Barkhane » mais pense pouvoir lui faire confiance. Fin 2020, il lui demande donc de transmettre une proposition d’interview à Abdallah Ag Albakaye.

Ce que le reporter ignore, c’est que son fixeur tiendra les militaires français informés jusqu’au bout des détails de la rencontre prévue avec le chef djihadiste. Le jour du rapt, dans un enregistrement audio que Le Monde a pu écouter, on entend ainsi distinctement un lieutenant français interroger Kader sur « le nom de la rue qu’ils [lui] ont demandé de prendre pour déposer Olivier Dubois ».

Les militaires français disposent de « toutes les informations »

Photographies des vêtements du journaliste, de son passeport, de son billet d’avion, de sa réservation d’hôtel, de la voiture utilisée pour se rendre sur place, coordonnées GPS du lieu où les supposés hommes d’Ag Albakaye sont censés le retrouver… Le jour de l’enlèvement, les militaires français disposent de « toutes les informations » sur le rendez-vous d’Olivier Dubois, confirme le lieutenant mentionné plus haut aux agents de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), qui l’interrogent dans le cadre de l’enquête ouverte par le Parquet national antiterroriste (PNAT), le 5 mai 2021, pour « enlèvement en bande organisée et en relation avec une entreprise terroriste ».

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Source: Le Monde