Cannes 2023 : pour Catherine Corsini, réalisatrice du " Retour ", " il y a un fond de misogynie " dans ce qu’on lui reproche

May 17, 2023
415 views

Elizabeth Perez, productrice à la tête de Chaz Productions, et Catherine Corsini, réalisatrice et scénariste, à Paris, le 12 mai 2023. CHLOE SHARROCK / MYOP POUR « LE MONDE »

Un mail anonyme, envoyé le 4 avril aux grandes institutions du cinéma et aux festivals, avait jeté l’opprobre sur Le Retour, le nouveau film de Catherine Corsini, accusée, pêle-mêle, de « harcèlement, violences verbales et physiques, humiliation et autres comportements au moins inadaptés ». Le conseil d’administration du Festival de Cannes, qui avait sélectionné le film, a un temps suspendu sa décision pour enquêter sur « l’affaire » : un certain nombre de petits événements mis bout à bout – une bouteille d’eau lancée dans un mouvement d’humeur, un accident de voiture heureusement sans gravité… – associés à deux signalements pour des faits de harcèlement sexuel. Faute d’éléments moralement et judiciairement condamnables, le Festival a confirmé la projection du film, ce mercredi 17 mai, en compétition officielle. Alors que la réalisatrice, Catherine Corsini, et sa productrice, Elisabeth Perez, qui est également sa compagne, s’étaient jusqu’ici refusées à parler, elles réagissent, ici, pour la première fois aux accusations qui les ont plongées dans la tourmente.

Que pensez-vous de la CGT-Spectacle qui juge que votre film ne devrait pas être programmé à Cannes ?

Catherine Corsini : L’actrice Esther Gohourou m’a dit : « J’en ai marre qu’on parle à ma place », et c’est vrai que ces gens sont d’un paternalisme incroyable. Ils prennent fait et cause pour cette jeune adolescente, mais jamais ils ne vont aller lui demander la réalité de ce qu’elle vit ou ressent. C’est de nouveau une forme de patriarcat. On ne sort pas de ça. J’ai toujours milité pour le droit des femmes. On a créé 50/50 [collectif qui défend les droits des femmes dans le milieu du cinéma]. Que tout ce qu’on a contribué à mettre en place se retourne contre nous, c’est délirant. Par moments, quand je lis ce qu’on dit de moi, j’ai l’impression qu’il s’agit d’une autre. Je me dis que les gens sont complètement dingues. Il y a une espèce de jubilation, un entraînement des uns et des autres qui empêche de réfléchir. A force de réagir, de commenter, il n’y a plus de pensée.

Pourquoi avoir quitté, il y a dix jours, la Société des réalisatrices et réalisateurs de films (SRF), dont vous étiez l’un des piliers ?

C. C. : Je suis allée voir mes camarades après le tournage, lorsque des rumeurs ont commencé à circuler, en leur expliquant ce que j’avais vécu. J’avais envie qu’on réfléchisse sur nos pratiques, nos comportements. L’intensité ou la nervosité qu’on a, comment est-ce qu’on doit la gérer ? Entre les réalisateurs qui s’emportent façon Pialat et ceux, côté Resnais, qui ne crient jamais, comment ça se départage ? J’avais envie qu’on porte ce débat. Parce que je n’ai à me cacher de rien. En me disant que j’avais aussi été victime, moi, de gens négatifs dont la violence se manifestait non par des cris, mais par des grimaces, des soupirs… Si j’ai ces moments éruptifs, c’est que je suis aussi sensible aux gens avec qui je travaille. J’ai besoin qu’on soit ensemble pour faire le film, dans une même énergie et une harmonie.

Il vous reste 74.2% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Source: Le Monde