Côte d'Ivoire : lancement de Meleagbo, le premier magazine LGBT+ d'Afrique de l'ouest

May 17, 2023
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De nos correspondants à Abidjan – Le magazine Meleagbo se présente comme la première revue LBGT+ d’Afrique de l’ouest francophone. Fondée par l’ONG Gromo, qui défend les droits des minorités sexuelles à Abidjan, cette publication entend mettre en valeur des icônes promouvant la culture, l'histoire et les réussites de cette communauté. Un pas en avant sur un continent où une trentaine de pays condamnent et répriment les attaques sur les personnes LGBT+. Mais le parcours reste semé d'embûches.

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Emmanuel Niamien et ses équipes luttent pour imprimer le premier numéro de Meleagbo. La première revue destinée à la communauté LGBT+ d’Afrique de l’ouest, qui devait initialement paraître le 12 mai, tarde à sortir. Et pour cause, le rédacteur en chef peine à trouver des imprimeurs queer-friendly – soutenant la cause des lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et queers – en Côte d’Ivoire.

Emmanuel Niamien rédacteur en chef du magazine Meleagbo, lors de la 3e édition du festival Awawale qui célèbre la communauté LGBTQ d’Abidjan en mai 2023 . © Sophie Lamotte

"L’homophobie ordinaire est la première difficulté que nous rencontrons. On est face à des imprimeurs qui ne veulent pas être associés à la communauté LGBT. Si on avait lancé un magazine de mode, on n'aurait pas eu ce type de problème. Donc on va au rythme de ceux qui acceptent de nous aider", se désole-t-il, entre plusieurs coups de fil à l'imprimeur qui lui promet une livraison depuis plusieurs jours.

Entre manque de visibilité et besoin d'anonymat

Financée par l’ONG Gromo, l’une des rares associations qui milite pour les droits LGBT+ en Côte d’Ivoire, et par les fonds propres de ses membres – dont Emmanuel Niamien fait partie –, la revue contient une quarantaine de pages qu'il a été difficile de remplir. Rares sont ceux qui acceptent d’y afficher leurs visages et leurs noms, par peur des représailles. "On voulait présenter l’équipe du magazine (…) pour dire 'voici qui a contribué', mais on a abandonné cette idée parce que certains avaient peur, certains ont voulu rester dans l’anonymat à cause du contexte sécuritaire", explique Brice Dibahi, fondateur de l’ONG Gromo, lors de la troisième édition du festival Awawale, qui célèbre la communauté LGBT+ d'Abidjan.

Ces Ivoiriens d’une trentaine d'années ont décidé de lancer Meleagbo pour pallier le manque de représentation de la communauté LGBT+ dans les médias traditionnels : "On a réalisé que les magazines, ici en Afrique, ne traitaient pas des questions de la communauté, et même quand les sujets sont traités, on sent une exclusion. Donc on voulait contrôler notre narratif". "Avec ce magazine, on espère changer les mentalités", renchérit Emmanuel Niamien. "Faire comprendre aux gens qu’on est là, on a toujours été là et qu’on fait partie des personnes qui font bouger le système." Difficile d’obtenir des chiffres sur le plan national mais d'après les recherches de l’ONG Gromo, 70 à 83 % des personnes LGBT+ sont toujours victimes d'homophobie – qui se traduit par des menaces de mort, agressions et viols dans la capitale économique ivoirienne.

Des droits toujours menacés

Au premier abord, la Côte d’Ivoire fait bonne figure dans la liste des pays qui ne pénalisent pas les personnes homosexuelles sur le continent. En comparaison, le Ghana frontalier est en passe de voter une loi qui vise à punir l’homosexualité. Depuis avril 2023, l’Ouganda menace d'emprisonner non seulement personnes homosexuelles, mais aussi ceux qui soutiennent leurs causes. Au Nigeria, l’homosexualité est passible d’au moins dix ans de prison, et dans les États du nord du pays qui pratiquent la charia, la peine de mort est appliquée.

Cependant, la Côte d’Ivoire fait partie des 40 pays du continent qui ne protègent pas juridiquement les droits des personnes LGBT+. En novembre 2021, le Conseil constitutionnel a modifié l’article 226 du code pénal ivoirien pour retirer l’orientation sexuelle comme motif de discrimination. Un recul pour les droits de la communauté, et une hypocrisie qui ne dit pas son nom selon les personnes concernées : "Ce qui nous sauve un peu c’est qu’il n’y a pas de loi qui condamne l’homosexualité. Mais c’est plutôt la société qui condamne", explique Cédric, l’un des organisateurs du festival Awawale. "On vit constamment dans la peur. Donc on vit cachés, on ne s'exprime pas assez, on n'a pas les possibilités de s'exprimer pleinement".

Cette discrimination omniprésente les poursuit jusque dans le monde professionnel. Selon un sondage réalisé en 2021 par l’ONG Gromo et relayé dans un rapport du Conseil général aux réfugiés et aux apatrides, un organisme belge chargé de protéger et d'accompagner administrativement les personnes persécutées dans leur pays, 70 % des personnes LGBT+ seraient en chômage en Côte d’Ivoire. Selon l'Institut national de la statistique, le taux de chômage au plan national était de 21,3 % en 2019. Une estimation confirmée par Marius Achi, économiste à Bloomfield Investment, joint par France 24.

La pauvreté comme facteur aggravant de discrimination

Selon le sociologue Brice-Stéphane Djedje, spécialiste des questions LGBT+, l’emploi est un enjeu majeur pour l'émancipation de cette communauté. "C’est difficile d’être homosexuel et d’être pauvre, parce que les plus forts oppressent toujours les plus faibles, et ça passe par aussi par l’économie". L’auteur du livre "Comment s’aimer en tant que gay en Afrique" explique que "les gays issus de familles pauvres paient le prix des lois qui discriminent les personnes queer. Une personne financièrement stable va vivre de manière plus libre que celle qui vit chez ses parents : sans pression familiale, en recevant ses partenaires, en s’occupant de sa santé mentale."

Brice-Stephane Djedje, sociologue spécialiste des études LGBT, lors de la 3e édition du festival Awawale. Mai 2023. © Sophie Lamotte

Un constat que dresse également l'équipe du magazine Meleagbo, qui souhaite encourager et aider leurs lecteurs à être indépendants – une rubrique est consacrée aux offres d’emploi, aux conseils professionnels et aux entreprises "queer friendly". Ils comptent démarcher des entreprises ivoiriennes et espèrent les convaincre de rallier leur cause.

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Source: FRANCE 24