Mayotte : où en est l'opération Wuambushu lancée par le gouvernement contre l'immigration illégale ?
Trois semaines après les débuts avortés de cette action visant à la sécurisation de l'archipel, la justice a donné son feu vert à la reprise des destructions de bidonvilles, mercredi, et les liaisons maritimes vers les Comores ont repris.
Bateaux bloqués, pelleteuses à l'arrêt, soignants pris pour cible... L'opération Wuambushu, lancée fin avril à Mayotte avec de nombreux renforts policiers, a connu un démarrage plus poussif qu'imaginé par le ministère de l'Intérieur. Destinée à déloger des migrants illégaux des bidonvilles de l'archipel et à "restaurer la paix républicaine", selon Gérald Darmanin, cette initiative controversée a été contrariée par des recours judiciaires et un refus des Comores voisines d'accueillir de nouveaux expulsés.
L'opération pourrait entrer dans une nouvelle phase, jeudi 18 mai, après que la justice a ouvert la voie à la démolition d'un important bidonville et que la liaison maritime a repris entre Mayotte et les Comores, mercredi. Franceinfo fait le point sur la situation.
Un feu vert tardif aux démolitions
La chambre d'appel de Mayotte a infirmé, mercredi, une ordonnance du tribunal judiciaire qui avait suspendu la destruction des habitations précaires du bidonville Talus 2, le 24 avril, aux premiers jours de l'opération. Une juge du tribunal judiciaire avait alors considéré que la démolition prévue était "manifestement irrégulière" et qu'elle mettait "en péril" la sécurité d'autres habitations. La préfecture avait fait appel de cette décision. La chambre d'appel a finalement estimé que le droit de propriété des occupants n'était pas établi et que ce litige était de la compétence de la justice administrative.
Comme l'a révélé Le Parisien (article réservé aux abonnés), le tribunal administratif de Mayotte avait déjà tranché en faveur de l'Etat, samedi, en revenant sur une précédente décision de février. Sur la base de nouvelles garanties de relogement apportées par la préfecture, et sous réserve de mesures d'accompagnement des personnes délogées, le tribunal a estimé que les conditions d'une destruction étaient désormais "suffisamment remplies". Le ministre de l'Intérieur s'est réjoui, mercredi, de ces décisions.
"Notre action déterminée de destruction de l’habitat indigne à Mayotte va donc pouvoir reprendre." Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur sur Twitter
La prochaine entrée en action des pelleteuses à Talus 2 pourrait être suivie de destructions similaires dans une quinzaine d'autres bidonvilles, où les opérations ont été stoppées du fait des démêlés devant les tribunaux. "Wuambushu peut démarrer, il n'y a plus aucun garde-fou de l'action de l'Etat", se sont alarmés, dans Le Parisien, les avocats des habitants qui avaient obtenu la suspension de la procédure.
Des actions policières prévues pour "plusieurs mois"
Malgré le faux-départ des destructions appelées "décasages", le ministère de l'Intérieur refuse d'évoquer tout échec. Les interventions se sont multipliées dans les quartiers sensibles de Mayotte, où les heurts entre forces de l'ordre et jeunes ont été violents depuis la fin avril, avec des guets-apens, des barrages sauvages, des caillassages et des destructions de véhicules.
"Cette opération n'est pas du tout engluée, bien au contraire", a assuré la porte-parole du ministère, Camille Chaize, le 1er mai, sur CNews. "Elle a débuté il y a plusieurs semaines, elle va continuer de longues semaines, plusieurs mois." Le lendemain, Gérald Darmanin affirmait devant l'Assemblée nationale qu'"un tiers des bandes criminelles" sévissant à Mayotte avaient "déjà été interpellées".
"Cinq personnes ont été condamnées depuis le début de la semaine dernière en lien avec l'opération en cours. D'autres ont été convoquées, notamment des mineurs", a déclaré le 4 mai à l'AFP le procureur de la République de Mayotte, Yann Le Bris. Wuambushu est dénoncée comme une opération "brutale", "anti-pauvres" et violant les droits des migrants par nombre d'associations, mais elle est soutenue par les élus et de nombreux habitants de l'archipel, qui dénoncent la hausse de l'insécurité sur place.
Des expulsions au ralenti vers les Comores
Le ferry Maria Galanta a repris, mercredi, ses rotations entre le département français et l'île comorienne voisine d'Anjouan, suspendues depuis fin avril. Au lancement de Wuambushu, les autorités de Moroni avaient interdit les accostages des sans-papiers comoriens qui devaient être expulsés de Mayotte, faisant valoir leur incapacité à absorber un afflux de migrants. Dans la foulée, la seule compagnie opérant le trajet entre Mayotte et Anjouan, la SGTM, avait suspendu cette liaison maritime.
L'affaire a donné lieu à des rencontres entre ministres des deux pays ainsi qu'entre les présidents Emmanuel Macron et Azali Assoumani. Dans la foulée, le 10 mai, la SGTM a dévoilé son intention de reprendre prochainement les rotations entre les deux archipels. Une coalition d'opposition aux Comores a accusé alors le président de "haute trahison". Les autorités comoriennes ont finalement assuré, lundi, qu'elles n'accueilleraient que les personnes expulsées de Mayotte volontaires pour rentrer au pays. "Des mécanismes d'identification" doivent être mis en place, a précisé le gouvernement local. Par le passé, des expulsés de Mayotte se sont déjà vu remettre un papier faisant office d'attestation de départ volontaire, en réalité fortement contraint, avance Mayotte La 1ère.
Le premier bateau arrivé, mercredi, à Anjouan, comptait à son bord 20 Comoriens en situation irrégulière sur le territoire français, selon la préfecture. Quatre d'entre eux ont accepté un "départ volontaire" et 16 ont fait l'objet d'une "reconduite à la frontière". Le gouvernement comorien a uniquement confirmé "l'arrivée de départs volontaires".
Des dispensaires occupés par des Mahorais bloqués
En marge des opérations officielles, la population mahoraise a organisé plusieurs manifestations pro-Wuambushu. Début mai, des membres du collectif des citoyens de Mayotte ont délogé des patients et envahi un important centre de consultations de Mamoudzou, réputé pour être fréquenté par des étrangers en situation irrégulière. Rattaché au centre hospitalier de la ville, ce dispensaire a dû fermer ses portes "jusqu'à nouvel ordre".
Des blocages aux abords de dispensaires ont été constatés dans d'autres communes, comme à Kahani, Pamandzi ou encore Dzoumogné. "Ces hôpitaux, ces dispensaires, ne nous appartiennent plus", défend la responsable du collectif, Safina Soula, interrogée par l'AFP. "Ils sont saturés et nous sommes obligés, nous Mahorais, d'aller nous faire soigner à La Réunion." L'ONG Médecins du monde a condamné sur Twitter ces blocages, dénonçant une "entrave" à l'accès aux soins, un "droit fondamental".
A Dzoumogné, une dizaine d'individus encagoulés et armés de machettes ont attaqué l'hôpital, vendredi, pour en découdre avec les occupants, selon Mayotte La 1ère. "Il y a eu une blessée parmi le collectif", a rapporté la direction à l'AFP. Ces actes de vandalisme ont conduit à la fermeture du centre médical et au déclenchement du "plan blanc" à l'échelle du centre hospitalier de Mayotte, avec un transfert de soignants et de patients. Des agents ont aussi décidé d'exercer leur droit de retrait, selon La 1ère. La fermeture de tous les centres périphériques hospitaliers a finalement été actée, mardi, avec effet dès mercredi, après que quatre personnes ont été blessées dans l'attaque d'un bus transportant des soignants.
Source: franceinfo