L'UE évoque des sanctions sur les carburants raffinés par l'Inde à partir de pétrole russe

May 18, 2023
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Par Clément Perruche

Publié le 18 mai 2023 à 10:30 Mis à jour le 18 mai 2023 à 14:36

Premier avertissement pour l'Inde. Mardi, Josep Borrell, le haut représentant de l'Union européenne pour les Affaires étrangères, a confié au « Financial Times » que la vente de produits pétroliers russes raffinés par des pays tiers, tels que l'Inde, devrait elle aussi faire l'objet de sanctions.

« L'importation en Europe de diesel et d'essence fabriqués en Inde à partir de pétrole russe consiste assurément en un contournement des sanctions, et les Etats membres doivent prendre des mesures », a-t-il affirmé. C'est la première fois que l'UE évoque un embargo sur les produits pétroliers raffinés à partir de pétrole russe par des pays tiers.

Depuis le début de la guerre en Ukraine, Bruxelles a pris des mesures contre l'industrie pétrolière russe. En décembre, l'UE a mis en place un embargo sur le brut venu de Russie ainsi qu'un plafonnement sur le prix du baril russe avec ses partenaires du G7.

Un nouvel embargo sur les produits raffinés russes est entré en vigueur début février. L'objectif de ces sanctions est de réduire les revenus financiers de Moscou, sans provoquer un choc de l'offre qui ferait grimper les cours du brut et aurait un effet dévastateur sur l'économie mondiale.

Des flux colossaux vers l'Inde

L'Inde a grandement bénéficié de ces mesures. Le géant asiatique, qui n'a d'ailleurs jamais explicitement condamné l'invasion russe, a considérablement augmenté, depuis, ses importations de brut en provenance de son vieil allié.

Avant la guerre, le pétrole russe représentait seulement 1 % des importations indiennes. Selon la société Vortexa, il représente désormais plus de 30 % des volumes importés. Le sous-continent a ainsi quasiment absorbé la totalité du pétrole russe qui était auparavant exporté vers l'Europe.

Début mai, le « Financial Times » révélait qu'une mystérieuse société dénommée « Gatik » avait acquis 56 tankers en l'espace de douze mois pour acheminer tout ce pétrole russe vers le sous-continent. C'est considérable.

Au niveau mondial, sur les 14.000 compagnies qui transportent du pétrole, seules 20 disposent d'une flotte de plus de 50 navires. Le quotidien britannique a relevé de nombreux éléments semblant indiquer que Rosneft, le géant du pétrole russe contrôlé par le Kremlin, serait aux manettes derrière Gatik.

Tour de passe-passe rentable

Ce tour de passe-passe s'est révélé très rentable pour New Delhi. Car les millions de barils qui sont débarqués chaque jour dans les ports indiens sont achetés en dessous des prix du marché.

Lors du premier trimestre de 2023, le prix moyen du baril acheté par l'Inde à la Russie était de 44 euros, soit une dizaine d'euros en dessous du prix moyen payé par les autres pays. Dans les dix mois qui ont suivi l'invasion russe, l'Inde aurait ainsi économisé 3,3 milliards d'euros. Cela a aidé New Delhi à lutter contre l'inflation et à limiter la hausse des prix à la pompe.

Mais l'aubaine ne s'arrête pas là. Car une partie de ce pétrole russe est raffinée dans des usines indiennes pour ensuite être vendue aux prix du marché, sous forme d'essence ou de diesel, à l'Europe ou aux Etats-Unis, en toute légalité.

Deux acteurs privés captent près de la moitié de ce pétrole russe : Reliance Industries, le conglomérat de Mukesh Ambani, l'un des hommes les plus riches d'Asie, et Nayara Energy, une société indo-russe détenue en partie par… Rosneft.

Selon certaines estimations, les exportations de produits pétroliers depuis l'Inde vers l'UE ont atteint 11,6 millions de tonnes entre avril 2022 et janvier 2023, soit une augmentation de 20 % par rapport à l'année précédente. Compte tenu du prix auquel les barils sont achetés, les marges sont plus grandes pour les compagnies pétrolières indiennes.

Passe d'armes entre Bruxelles et New Delhi

Si ces exportations depuis l'Inde vers l'Europe sont tout à fait légales, la combine semble avoir émoussé la patience de Bruxelles. « Il est normal que l'Inde achète du pétrole russe. Et si, grâce à notre prix plafond, l'Inde peut acheter ces barils à un prix moindre, cela réduit les rentrées d'argent pour la Russie, et c'est tant mieux, a expliqué Josep Borrell. Mais si les Indiens utilisent cette situation pour devenir un centre de raffinage du pétrole russe et que des produits dérivés nous sont vendus… nous devons agir. »

La sortie de Josep Borrell n'a pas manqué de faire réagir Subrahmanyam Jaishankar, le ministre des Affaires étrangères indien, qui était à Bruxelles mercredi pour le premier conseil UE-Inde sur le commerce et les technologies. « La réglementation du Conseil de l'Union européenne explique que si le brut russe est substantiellement transformé dans un pays tiers, alors il n'est plus considéré comme russe », a rétorqué le ministre lors d'un point presse, appelant les responsables de l'UE à relire la réglementation européenne. Présente lors de la conférence de presse, Margrethe Vestager, la commissaire européenne à la Concurrence, a refusé de faire tout commentaire.

Source: Les Échos