Vertbaudet : piquet de grève évacué, syndicaliste "frappé", appel au boycott… On vous résume le conflit social qui dégénère dans l'entreprise

May 18, 2023
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Le parquet de Lille a annoncé, mercredi, l'ouverture d'une enquête sur des soupçons d'agression visant un délégué CGT de l'enseigne de puériculture.

L'ambiance est loin des couleurs pastel des catalogues Vertbaudet. L'enseigne d'articles de puériculture fait face à un conflit social depuis près de neuf semaines dans son entrepôt logistique de Marquette-lez-Lille (Nord). Après plusieurs évacuations par la police du piquet de grève installé par des dizaines de grévistes, la tension a atteint son paroxysme, mercredi 17 mai. Le parquet de Lille a ouvert une enquête après qu'un des délégués CGT du site a été "frappé" et intimidé par des personnes se présentant comme des policiers en civil, selon l'union locale du syndicat. Franceinfo remonte le fil de cette grève, en cinq actes.

Acte 1 : une grève pour les salaires

Une grève est lancée par des salariés de Vertbaudet, le 20 mars, pour réclamer une revalorisation salariale. La CGT, minoritaire, vient alors de refuser de signer un accord sur les négociations annuelles obligatoires, validé par FO et la CFTC, et qui prévoit une prime au prorata du temps de travail et des journées de repos supplémentaires. "On veut une augmentation pérenne dans le temps et qui compte pour notre retraite", défend la déléguée syndicale CGT Manon Ovion. Les grévistes demandent une hausse de 100 à 150 euros net par mois.

Selon la direction, l'accord inclut pour 2023 une prime de partage de la valeur de 650 euros et une hausse de 115 euros du montant des primes repas. Il a également été proposé, après le refus de la CGT, la possibilité de travailler une heure supplémentaire par jour, sur la base du volontariat. Une logique de "travailler plus pour gagner plus" rejetée par la CGT, qui pointe l'usure des salariés.

Acte 2 : la CGT appelle au boycott, la direction dénonce des violences

En avril, après trois semaines de mouvement, environ 80 des 327 salariés de l'entrepôt, en majorité des femmes, sont toujours en grève. Le 14 avril, la CGT durcit le ton. En visite sur place, la secrétaire générale de la confédération, Sophie Binet, lance un appel à "toutes les mamans" à "boycotter Vertbaudet" jusqu'à l'ouverture de négociations salariales "dignes de ce nom avec les femmes qui sont en grève". Elle fustige une "entreprise extrêmement financiarisée" et "très lucrative", détenue par le fonds d'investissement Equistone Partners Europe. Elle accuse la direction de "se comporter comme un patron voyou", lui reprochant d'embaucher "des intérimaires pour remplacer les grévistes".

Peu après le départ de Sophie Binet, la police est appelée pour sécuriser le site, après que "des personnes extérieures à Vertbaudet ont décidé d'envahir les lieux", selon la direction. "Avec violence, ils ont forcé les portes d'entrée et, avec des barres de fer, ils ont cassé des fenêtres d'accès à l'entrepôt pour les camions et cassé la porte d'entrée des salariés", accuse une porte-parole. Six salariés non grévistes, choqués, ont été pris en charge par les pompiers, affirme-t-elle. L'entrepôt est évacué et fermé pour le week-end.

Des salariés grévistes de Vertbaudet entrent de force dans l'entreprise, bloqués par des non-grévistes, le 14 avril 2023, à Marquette-lez-Lille. (ALICE MOUCHARD / FRANCE 3 HAUTS-DE-FRANCE)

Quatre jours plus tôt, la direction avait déjà porté plainte, dénonçant des violences commises en marge du piquet de grève, notamment à l'encontre des salariés non grévistes.

Acte 3 : la justice valide le recours de l'entreprise à des intérimaires

Le 4 mai, le tribunal judiciaire de Lille donne raison à la direction de Vertbaudet, accusée par les grévistes d'avoir recours à des intérimaires pour les remplacer. La fédération CGT du commerce avait dénoncé l'embauche de 84 intérimaires au début de la grève, alors suivie par 82 salariés, y voyant une tentative par Vertbaudet de "contourner le droit de grève".

Selon l'entreprise, le recours à ces intérimaires était justifié par un accroissement temporaire d'activité lié à une opération promotionnelle. Aux yeux de la justice, il n'existe pas de preuve suffisante d'un trouble manifestement illicite. Dans la foulée, la CGT annonce son intention de faire appel.

Acte 4 : la police déloge les grévistes

Après presque deux mois de mobilisation, le 16 mai, le piquet de grève de Marquette-lez-Lille est évacué par la police. L'entreprise demande "le concours de la force publique" pour "procéder à l'expulsion de tout occupant illicite de son site", comme le confirme la préfecture du Nord sur Twitter. L'Etat met en cause "de nombreux et graves troubles à l'ordre public" qui ont "été constatés, mettant en danger l'intégrité physique des personnes présentes sur le site, notamment les centaines de salariés y travaillant". La préfecture cite un "incendie volontaire d'un poste électrique".

Du côté des grévistes, désormais chiffrés à 72 par la direction, "la rage monte de plus en plus", selon l'une d'eux, Anaïs Vanneuville : "Un cran a été dépassé, on ne lâchera rien." Selon la CGT, les forces de l'ordre étaient déjà intervenues sur le piquet de grève la veille et avaient interpellé deux militants non salariés du site, placés en garde à vue puis relâchés. L'un d'eux entend porter plainte pour violences policières, affirme son avocat à Street Press. La direction annonce par ailleurs que six salariés ont été convoqués à un "entretien en vue de sanction, pouvant aller jusqu'au licenciement". "Ces six personnes ont participé à des faits de blocage illégaux", accuse-t-elle.

Acte 5 : une enquête est ouverte après des accusations de violences sur un syndicaliste

Au lendemain de l'évacuation du piquet de grève, le 17 mai, le parquet de Lille annonce l'ouverture d'une enquête portant sur des violences rapportées par la CGT. Selon l'union locale du syndicat, un des deux délégués CGT du site a été "copieusement gazé, frappé", la veille au soir, par des personnes se présentant comme des "policiers en civil" venus l'interpeller devant son domicile, aux cris de "sale gréviste". Trois hommes l'ont plaqué au sol et emmené dans une voiture, avant de lui voler son portefeuille, de menacer sa famille et de le relâcher dans une ville voisine, détaille un délégué CGT à Libération. Le député communiste du Nord Fabien Roussel dénonce "des méthodes de barbouzes" et dit, sur BFMTV, avoir saisi le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, de cette agression "extrêmement grave".

La veille, une gréviste avait aussi "fini aux urgences", selon Sophie Binet. Cette salariée, Claudia, affirme à Street Press avoir été "attrapée au cou et soulevée du sol" par un policier. "Je me suis sentie partir quelques secondes, assure-t-elle. J'ai eu peur, j'ai manqué de souffle, je sentais mes paupières lourdes." Elle s'est vu prescrire quatre jours d'incapacité temporaire de travail, selon le site d'information.

Reçue à Matignon dans le cadre des rencontres d'Elisabeth Borne avec les syndicats, la leader de la CGT dit avoir reçu de la Première ministre la garantie qu'elle allait faire "cesser toutes les poursuites contre les ouvrières" et "garantir une médiation avec la direction de l'entreprise". Une quarantaine de salariés grévistes se sont réinstallés, mercredi, devant le site nordiste, encadrés par les forces de l'ordre, selon une gréviste interrogée par l'AFP.

Source: franceinfo