Traitements contre le cancer : " Le bénéfice des nouveaux médicaments, évalué à court terme, est trop incertain "

May 19, 2023
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Nous, médecins, pharmaciens, statisticiens, chercheurs, scientifiques, impliqués dans le soin, et les essais cliniques évaluant de nouveaux médicaments pour les personnes atteintes de cancer, sommes inquiets de l’émergence d’un discours remettant en question les connaissances scientifiques sur lesquelles repose l’évaluation médicale.

Il apparaît en particulier que la méthode la plus efficace d’appréciation de l’efficacité des innovations thérapeutiques, l’essai randomisé, est progressivement écartée pour faciliter l’accès de plus en plus précoce à de nouveaux traitements. Cette dynamique présente des inconvénients divers : elle comporte des risques médicaux, peut engendrer d’excessifs espoirs pour les personnes malades, comme pour les professionnels de santé, et constitue, nous allons le voir, un recul scientifique.

L’évaluation de l’efficacité des soins en médecine est récente. Les essais randomisés, consistant à attribuer aléatoirement des traitements à des groupes de patients comparables de façon à éviter les biais, ont été mis en place après la seconde guerre mondiale, puis généralisés pour évaluer un nouveau traitement. Dès 1970, la Food and Drug Administration américaine a ainsi exigé, pour leur autorisation, les résultats de tels essais, marquant le début de la médecine « scientifique », « fondée sur les preuves » (EBM pour « evidence based medicine »). Introduite dans les années 1990, elle définit les niveaux d’incertitude associés aux différentes études. A l’opposé des essais randomisés, les avis d’experts et les résultats portant sur des malades recevant un nouveau traitement ont un risque important de conclusions erronées.

En réponse à la crise du sida, des procédures d’autorisation rapide de nouveaux médicaments ont été mises en place aux Etats-Unis, puis en Europe au début des années 1990, pour les maladies potentiellement mortelles et sans solution thérapeutique efficace. De nouveaux médicaments sont ainsi acceptés par les agences d’autorisation sans essai randomisé, notamment en cancérologie. Le bénéfice de ces traitements, évalué à court terme, est donc incertain, voire non retrouvé à long terme, tandis que leur prix est élevé.

Procédures accélérées

La mise en place des procédures accélérées s’intègre dans une critique de l’EBM, écartant l’essai randomisé au profit d’une médecine « personnalisée », « de précision » ou « individualisée » proposant à chacun un traitement adapté aux caractéristiques de sa tumeur. Elle répond à la demande de certains cancérologues en faveur d’un accès rapide aux thérapies nouvelles sur la seule base d’un mécanisme d’action, sans que leur efficacité ait été établie. Les malades aussi, dont l’implication dans l’évaluation des médicaments s’est accrue depuis le sida, participent à ces demandes. Enfin, les récits d’expériences individuelles souvent tragiques dans les médias sont instrumentalisés.

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Source: Le Monde