Voici à quoi ressemble Sissi-City, cette nouvelle capitale de la démesure en Égypte
Voici à quoi ressemble Sissi-City, cette nouvelle capitale de la démesure en Égypte
Correspondance à « Sissi-City » (Égypte), Laurent PERPIGNA IBAN
En plein désert, à 50 km à l’est du Caire qui étouffe avec ses 23 millions d’habitants, l’Égypte bâtit une nouvelle capitale. Le projet à 60 milliards de dollars est une priorité du maréchal-président Abdel Fattah al-Sissi, qui rêve d’un « nouveau Dubaï ». Pendant ce temps, le pays croule sous la dette et l’inflation record frappe durement le tiers des 104 millions d’Égyptiens qui vivent sous le seuil de pauvreté. Reportage.
(Carte : Ouest-France)
Au loin, les silhouettes de tours immenses se dessinent à l’horizon, en plein désert. À trois quarts d’heure de voiture à l’est du Caire, en bordure de la route qui file vers Suez, en Égypte, la Nouvelle capitale administrative (NAC, pour New Administrative Capital) sort de terre depuis 2016. Elle n’a pour l’heure ni nom ni habitants, mais elle a toute l’attention du maréchal-président Abdel Fattah al-Sissi, dont elle est le totem. Ses détracteurs l’ont baptisée « Sissi-City ».
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Un projet à 60 milliards d’euros
Pour franchir la gigantesque porte d’entrée, il faut une bonne raison et être accompagné par une personne autorisée. Le projet est pharaonique, bâti sur une surface de 750 km², décidé et mené sans concertation, pour un coût estimé à 60 milliards d’euros. L’inauguration de la NAC a déjà été repoussée à plusieurs reprises, et le chantier promet de durer encore quelques années.
Les autorités égyptiennes l’ont assez répété : c’est un « nouveau Dubaï » qui serait en train de voir le jour. La réalité a bien un parfum du Golfe, mais un poil frelaté. De part et d’autre de voies de circulation XXL, à l’asphalte encore fumant, se montent de multiples constructions : « la plus grande » mosquée d’Égypte et « la plus grande » cathédrale d’Afrique, un opéra majestueux tout en marbre, un hôtel de luxe avec une plage artificielle, un quartier d’affaires construit et financé par la Chine, articulé autour du futur «plus haut» gratte-ciel d’Afrique, l’Iconic Tower de 80 étages (394 mètres)… Sans oublier les dizaines de milliers d’habitations déjà mises en vente.
La mosquée géante de « Sissi City », en mars 2023. (Photo : Laurent PERPIGNA IBAN)
Désengorger Le Caire ?
Au départ, l’idée est séduisante. Sissi-City doit permettre de désengorger Le Caire, une ville de 23 millions d’âmes congestionnée par une pression démographique intense. « En réalité, ce n’est pas du tout le plan. La preuve, le prix des logements est inaccessible pour 90 % des habitants du Caire », souligne Hassan, un économiste qui préfère rester anonyme sur ce sujet sensible, dans un pays où les droits humains sont malmenés. « L’écrasante majorité des acheteurs sont investisseurs étrangers et n’ont pas prévu d’y habiter. La nouvelle capitale, qui ambitionne en réalité de devenir un hub pour habitants fortunés, risque d’être une ville fantôme... »
L’architecte Ahmed Zaazaa, membre du collectif professionnel 10tooba, abonde : « Un Égyptien sur trois vit en dessous du seuil de pauvreté. Ce projet ne répond pas aux besoins de la majorité. D’autant qu’en utilisant ne serait-ce que 10 % du budget de cette nouvelle capitale, nous aurions pu améliorer drastiquement le système de santé et le système éducatif, par exemple. »
Car l’Égypte et ses 104 millions d’habitants croulent sous la dette (163 milliards d’euros) qui a triplé en dix ans ; l’inflation atteint des records (+30 % en rythme annuel) ; la livre égyptienne a perdu en seulement un an plus de la moitié de sa valeur.
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La quasi totalité des 104 millions d’Egyptiens n’ont pas les moyens d’acheter un appartement dans la future capitale, censée désengorger l’aire urbaine du Caire et ses 23 millions d’habitants. (Photo : Laurent PERPIGNA IBAN)
Un marché juteux contrôlé par l’armée
Or les États du Golfe, principaux bailleurs de fonds avec la Chine, se montrent de plus en plus réticents à prêter ou investir dans les projets pharaoniques du maréchal Sissi. D’autant que l’emprise de l’armée égyptienne sur cette nouvelle capitale est à l’image de celle sur l’ensemble de l’économie.
La société publique créée ad hoc pour chapeauter l’ensemble du projet (l’Administrative Capital for Urban Development) est détenue à 51 % par les forces armées. Et ce n’est pas tout, comme l’explique Hassan l’économiste : « L’armée, qui possède également la plus grande cimenterie du pays, profite du juteux marché de la NAC. Mais cette mainmise est un repoussoir pour les investisseurs et les acquéreurs. L’opacité est totale. »
Le futur siège de la Banque centrale d’Égypte. (Photo : Laurent PERPIGNA IBAN)
Un QG militaire plus grand que le Pentagone
Symbole de cette omnipotence, « Sissi-City » accueillera l’Octogone des forces armées égyptiennes, l’équivalent du Pentagone des États-Unis, mais… en plus grand.
Alia al-Mahdi, professeure en économie à l’université du Caire, tire la sonnette d’alarme : « Même si je suis d’accord avec l’idée de construire une nouvelle capitale pour désengorger Le Caire, pourquoi le faire aussi vite et pourquoi vouloir rivaliser avec les grandes villes du Golfe ? Le pays risque la faillite, et il faudra très longtemps pour avoir un retour sur investissement. Je ne vois pas comme le gouvernement va se sortir de cette situation. »
Source: L'édition du soir