Mayotte: les habitants de Talus 2 se préparent à la destruction de leur bidonville
Reportage
C’est l’un des objectifs majeurs de l’opération Wuambushu, détruire 10 % de l’habitat informel de l’île. D’abord stoppée par la justice, la destruction du quartier Talus 2, à Majikavo Koropa, a finalement été autorisée et doit débuter ce lundi 22 mai.
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De notre envoyée spéciale à Mayotte
« J’ai pris toutes mes affaires pour les mettre chez les voisins, car je ne sais pas du tout comment ça va se passer demain. Je n’ai pas le choix, je dois partir », confie Djamanda*, deux gros sacs plastiques remplis de vêtements dans les bras et des cousins sur la tête et sur celle de son fils. La jeune femme vit ici depuis 2006 et tous ces enfants sont nés à Talus 2 alors pour elle l’avenir, désormais, est flou. « Je ne sais rien sur le déroulement de l’opération lundi, mais tout ce stress, c’est épuisant », raconte la mère de famille. Autour d’elle, tout le monde s’active. Les plus jeunes comme les plus âgés remplissent valises et sacs, démontent baraquements en tôles et poutres en bois, et sauvent tout ce qui peut encore être utilisé.
Les bruits des marteaux rythment les allers-retours des habitants entre la colline où Talus 2 a pris forme et les habitats précaires tout proches qui, eux, ne sont pas encore menacés de destruction. Plusieurs centaines de personnes vivraient ici, mais elles sont nombreuses à avoir commencé à évacuer les lieux par crainte du déroulement de l’opération. En ce dimanche, c’est le cas d’Amed*, un Anjouanais de 45 ans qui démonte lui-même sa maison. Le Comorien vit ici depuis 1998, mais n’a jamais réussi à obtenir de papiers, alors il le sait, sa seule solution est de s’enfuir avant l’arrivée des équipes de démantèlement du quartier. Après avoir mis à l’abri ce qui constitue toute sa vie, il a prévu d’aller se cacher, « très loin », précise-t-il.
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Quel avenir pour les habitants après la destruction ?
Safia, elle, a accepté la proposition de relogement. Elle quitte donc son logement en tôles d’une quarantaine de mètres carrés avec trois pièces servant de chambres pour un appartement en colocation avec une personne qu’elle ne connaît pas. Pour cette mère de famille, cela n’a rien d’une opportunité pour quitter ce que les services de l’État appellent une zone d’insalubrité. « Je n’ai pas le choix », martèle-t-elle. En faisant visiter sa maison en terre battue, reliée à l’eau et à l’électricité, elle soupire : « Ici, ma vie était si simple ». Celle qui travaillait sur les marchés craint désormais de ne pas pouvoir s’en sortir et de ne pas réussir à assumer le coût d’un loyer. Dépitée, elle quitte les lieux sans se retourner.
Le quartier informel de Talus 2 qui fait l'objet d'une opération de démolition, à Mayotte, le 21 mai 2023. © RFI/Lola Fourmy
En fin de semaine, le préfet Thierry Suquet affirmait sur Mayotte la 1ʳᵉ que des propositions de relogement allaient être faites. « Nous sommes en capacité d’héberger et de reloger si besoin », assurait-il. Dans les chemins boueux de Talus 2, plusieurs habitants et habitantes assurent pourtant n’avoir reçu aucune proposition ou des offres sous-dimensionnées - avec parfois une chambre pour huit locataires – ou trop éloignées pour assurer la continuité de la scolarité des enfants. Ce lundi, des permanences sociales devraient d’ailleurs se tenir dans le quartier, selon la préfecture, et pourraient permettre de faire le point sur la situation sociale de ces familles.
Un climat de tensions accru
« Je suis désespéré, je suis en colère », s’agace celui que tout le monde surnomme Hagat. « Ma mère est là depuis 20 ans, et là on vient nous déloger comme ça, sans raison. On se demande si Mayotte est vraiment une île française, car en France, on ne peut pas déloger les gens comme ça », déplore ce Comorien en situation régulière. Il regrette la façon dont est menée l’opération. « Ils nous parlent de développement, ici, on est tous pour le développement, mais on ne déloge pas les gens comme ça ! Tu vas les laisser où ? Ça va forcément engendrer de la violence, car les jeunes se demandent où ils vont habiter », croit savoir cet habitant de Talus 2.
Dans la nuit de samedi à dimanche, des premiers heurts auraient éclaté entre des jeunes qui jetaient des pierres et des forces de l’ordre. « On ne sait pas comment ça va se passer, mais on craint que ça ne se passe pas bien », confie un homme du quartier. À ses côtés, Pierre*, 16 ans, est inquiet. Cela fait une semaine que ce lycéen n’est pas allé en cours de peur que sa famille soit évacuée en son absence. Si le jeune homme dit craindre des actes violents face à l’opération de démolition du bidonville, il affirme ne pas vouloir y participer. « Je ne fais pas ce que je n’aimerais pas qu’on me fasse », conclu l’adolescent.
En parallèle de l’opération de destruction de ce bidonville, les expulsions ont repris après une séquence de tension entre Paris et Anjouan. Depuis le 17 mai, plus de 70 personnes auraient été reconduites vers les Comores.
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Source: RFI