Que contient la loi de programmation militaire 2024-2030, qui arrive en débat à l'Assemblée ?

May 22, 2023
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Dans le contexte de la guerre en Ukraine, les députés vont débattre pendant quinze jours du budget des armées. Le gouvernement propose une hausse de 413 milliards d'euros sur sept ans, afin notamment de moderniser l'armée et d'améliorer le traitement des troupes.

Dans un contexte de montées des tensions internationales, les députés vont débattre du budget des armées. Le projet de loi de programmation militaire (LPM) arrive à l'Assemblée nationale à partir du lundi 22 mai. Les débats en première lecture vont s'étaler sur deux semaines, avec plus de 1 700 amendements déposés, avant un vote solennel prévu le 6 juin. La LPM prévoit une forte augmentation du budget sur les sept prochaines années, mais conduit à des objectifs d'équipements militaires d'ici à 2030 revus à la baisse. Franceinfo revient sur ce que contient le texte.

Un budget en constante hausse

Le besoin identifié par le gouvernement pour les armées s'élève à 413,3 milliards d'euros sur sept ans (2024-2030), soit 40% de plus que pour la précédente loi de programmation militaire 2019-2025 (295 milliards). Le budget de la Défense, déjà en hausse depuis six ans, s'élève en 2023 à 43,9 milliards, selon les chiffres du ministère des Armées. Ce budget devrait être encore revu à la hausse par marches successives dans les prochaines années pour atteindre puis dépasser 2% du PIB (produit intérieur brut) français.

Une augmentation de 3,1 milliards d'euros est donc prévue en 2024, puis 3 milliards supplémentaires par an de 2025 à 2027, et enfin 4,3 milliards de plus par an à partir de 2028, détaille vie-publique.fr. Le budget atteindra donc 68,9 milliards d'euros en 2030. "Il n'y a rien de trop", considère le ministre des Armées, Sébastien Lecornu. Entendus par les députés en commission, les industriels de défense se sont dits "parfaitement conscients de l'effort consenti par la Nation", malgré le niveau élevé de la dette publique. Si 400 milliards d'euros sont financés par des crédits budgétaires, 13,3 milliards le seront par des ressources extrabudgétaires, que le Haut conseil des finances publiques juge plus incertaines, rapporte Public Sénat.

Des priorités portées sur la dissuasion nucléaire et sur la "fidélisation" des troupes

Dans le contexte du retour de la guerre en Europe et de la montée des tensions internationales, le gouvernement affiche plusieurs objectifs avec cette LPM, à commencer par la modernisation des outils de dissuasion nucléaire et une meilleure "fidélisation" des troupes. Une trentaine de milliards d'euros doivent aussi servir à couvrir l'inflation.

La dissuasion nucléaire, en raison de sa modernisation (acquisition de futurs sous-marins lanceurs d'engins, missiles M51 et ANS4G…), consomme à elle seule 13% des crédits. C'est le "montant de l'assurance-vie", qui permet parallèlement d'avoir recours à moins de forces conventionnelles, estime Thomas Gassilloud, député Renaissance du Rhône et président de la commission de la Défense.

L'objectif d'emploi de 275 000 militaires et civils (hors réservistes) est inchangé, mais les crédits passent de 87 à 98 milliards d'euros sur la période pour améliorer les rémunérations et les inciter à rester dans l'armée. Les équipements (avions, blindés...) représentent 268 milliards d'euros, et le budget consacré à leur entretien grimpe de 40 % (49 milliards d'euros), tout comme celui de l'entraînement des forces (65 milliards).

La LPM entend aussi remédier à des faiblesses mises en lumière par le conflit en Ukraine, notamment pour augmenter les stocks de munitions (16 milliards d'euros, +45 %) ou les dispositifs de défense sol-air (5 milliards). L'accent est également mis sur les "nouveaux champs de conflictualité", comme l'espace (6 milliards, +40 %) ou le cyber (4 milliards, +300 %). Deux fois plus d'argent doit enfin être consacré aux drones (5 milliards d'euros), 5 milliards au renseignement et deux milliards aux forces spéciales.

Une baisse du nombre d'avions et de blindés

Dans un cadre contraint, des décalages de livraisons de matériel à l'après-2030 sont attendues, "même si on ne revoit pas la cible pour autant", assure le ministre des Armées Sébastien Lecornu. Les armées recevront ainsi 2 300 nouveaux blindés sur la période, soit 30% de moins que prévu auparavant. En 2030, l'armée de l'Air disposera de 137 Rafale contre un objectif initial de 185 et de 35 avions de transport A400M (contre 50 anticipés), et la Marine ne pourra compter que sur trois des cinq frégates de défense et d'intervention.

Sébastien Lecornu dit "privilégier la cohérence sur la masse" afin de s'assurer que les matériels et militaires soient effectivement opérationnels. "On a longtemps rogné sur l'activité des forces et l'entraînement pour éviter des difficultés politiques et industrielles" en annulant des commandes de matériels, a-t-il déploré lors des auditions en commission.

Au rang des autres mesures, une disposition prévoit le contrôle des activités d'anciens militaires au profit d'entités étrangères. Londres avait pris des mesures similaires pour mettre fin au recrutement de pilotes militaires britanniques par la Chine afin d'entraîner ses propres aviateurs. Plusieurs articles mettent par ailleurs en musique "l'économie de guerre" promue par Emmanuel Macron, notamment les réquisitions au profit de la défense, ou la constitution de stocks stratégiques de matières premières et composants.

… et des débats attendus sur les chiffres et la doctrine militaire

La grande partie de la première semaine de débats devrait faire éclater les divergences de doctrines. L'écrasante majorité des quelque 1 700 amendements ont été déposés sur un article qui renvoie à un rapport annexé, sorte de feuille de route militaire pour la France, à la fois dans sa doctrine et dans l'équipement de ses armées. La LPM va entraîner un décalage de livraisons de plusieurs équipements, ce qui inquiète l'opposition. Un débat va rythmer l'examen, celui de la "masse" contre la "cohérence" : l'armée doit-elle se doter d'un maximum d'équipements, ou flécher ses investissements pour que ceux dont elle dispose soient utilisables (entretien, entraînement...) ?

Les écologistes s'opposeront au projet d'un futur porte-avion et les communistes feront valoir leur volonté de sortir de la dissuasion nucléaire. Les élus de La France insoumise soulèveront, entre autres, la question de l'Otan, et présenteront un contre-projet global lundi. Le RN va insister sur la souveraineté industrielle. La question des partenariats militaires, y compris européens, sera également mise sur la table.

Députés de gauche comme de droite entendent par ailleurs dénoncer des effets d'annonce, voire l'"insincérité" du texte. "Les lignes budgétaires ne correspondent pas aux superlatifs annoncés", assure la socialiste Anna Pic, qui estime que la LPM est davantage une "continuité" de la précédente et que "100 milliards" d'euros découlent déjà de cette dernière. Autre grief des oppositions, l'incertitude, selon eux, autour des 13,3 milliards d'euros, qui doivent être financés par des ressources extrabudgétaires.

De la gauche au RN, l'opposition demande enfin que les efforts les plus importants arrivent avant la fin du quinquennat. Or, les investissements les plus coûteux interviendront après l'élection présidentielle de 2027, d'après la future loi de programmation. "L'effort, c'est tout de suite", a tancé Olivier Marleix, président du groupe Les Républicains à l'Assemblée nationale. Son groupe jouera encore un rôle pivot, en l'absence de majorité absolue pour le camp présidentiel et dans un contexte de fragilité pour le gouvernement qui reste marqué par la séquence des retraites. Le ministre Sébastien Lecornu, qui promet dans Le Figaro de "n'esquiver aucune question" va tenter de trouver un compromis entre des Républicains tatillons et une partie de la Nupes.

Source: franceinfo