Au Soudan, la culture de la gomme arabique menacée par la guerre

May 22, 2023
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Un Soudanais montre de la sève d’acacia fraîchement récoltée, à 30 km d’El-Obeid, le 9 janvier 2023. ASHRAF SHAZLY / AFP

La gomme arabique, ingrédient clé des boissons gazeuses ou chewing-gums, était une exportation phare du Soudan avant la guerre. Depuis mi-avril, ses stocks sont au cœur des combats, les étrangers qui l’achetaient ont été évacués et les prix ont chuté.

« C’est une vraie catastrophe pour les producteurs », s’alarme Adam Issa Mohammed, commerçant à El-Obeid, l’un des principaux marchés de gomme arabique, au sud de Khartoum. Et pas seulement pour les producteurs : 5 des 45 millions de Soudanais tiraient directement ou indirectement un revenu de la production de ces cristaux de sève d’acacia durcie.

Pourtant, la gomme arabique du Soudan, qui représente 70 % des exportations brutes mondiales, avait résisté à tout, des conflits au réchauffement climatique. Signe que cet émulsifiant naturel est indispensable, Washington, qui a imposé des années d’embargo au Soudan, lui avait accordé une exemption spéciale. Les industries agroalimentaire et pharmaceutique ne peuvent en effet pas s’en passer : sans la gomme arabique, pas de boissons gazeuses, de chewing-gums ou de médicaments.

Camions détruits

Mais aujourd’hui, après plus de cinq semaines de guerre entre militaires et paramilitaires, près d’un millier de morts, plus d’un million de déplacés et réfugiés et l’évacuation de la plupart des étrangers liés à son commerce, la gomme arabique n’est plus à l’abri. La majorité des combats se concentrent à Khartoum, où le gros de la production est généralement centralisée avant d’être exportée, et au Darfour (ouest), où est produite une partie de la gomme.

Si les affrontements n’ont pas gagné jusqu’ici Gedaref, près de la frontière éthiopienne, autre secteur où sont situés des champs d’acacias, ils y ont déjà changé les cours. « Comme il n’y a plus aucun acheteur, la tonne est passée de 320 000 à 119 000 livres soudanaises », soit de 580 à 200 euros, rapporte à l’AFP Ahmed Mohammed Hussein, un producteur.

« On a de grosses quantités à vendre, mais personne n’achète car exportateurs et distributeurs ne trouvent plus aucun camion », renchérit Adam Issa Mohammed. A Khartoum, de nombreux camions ont été détruits dans les tirs croisés et des routiers ont été tués, rapportent des habitants. Et les conducteurs téméraires font face à un autre obstacle : dans les stations essence qui ne sont pas à sec, le prix du litre a été multiplié par 20.

Face aux inquiétudes sur le marché mondial, la Fédération internationale de la promotion de la gomme (AIPG), qui rassemble producteurs, importateurs et fabricants, assure que ses « entreprises ont assez de réserves importées du Soudan et d’autres pays dans leurs hangars pour absorber de possibles interruptions de l’approvisionnement ». L’AIPG ajoute que le Tchad et le Nigeria peuvent aussi « contribuer de façon significative » à l’approvisionnement mondial.

Mais Othmane Abdessalam, employé d’une compagnie de transport maritime au Soudan, note que « les exportations en provenance du Darfour et du Kordofan via Khartoum, et particulièrement la gomme arabique, ont été fortement affectées » depuis le début de la guerre.

Désertification

En 2022, le pays avait exporté 60 000 tonnes de gomme, selon Mostafa al-Sayyed Khalil, patron du Conseil de la gomme arabique du Soudan. Avec la guerre, difficile de dire combien le pays exporte aujourd’hui, et même d’estimer la production réelle de gomme, selon lui. « Une bonne part est produite dans des zones qui échappent au contrôle de l’Etat », rurales ou désertiques, tenues par des groupes armés, dit-il à l’AFP.

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Au Soudan, l’acacia gommier pousse naturellement au milieu des champs sur une longue ceinture de 500 000 km2 – quasiment la superficie de la France – qui va de Gedaref au Darfour. Parce qu’il est l’un des arbres qui s’accommodent le mieux à la sécheresse et au changement climatique, bailleurs de fonds internationaux et pays africains ont misé sur lui pour boiser la « Grande Muraille verte ». Ce mégaprojet est censé couvrir d’arbres la bande du Sahel jusqu’à la Corne de l’Afrique pour ralentir la désertification.

La culture de l’acacia pourrait devenir une importante source de revenus pour des agriculteurs qui font pousser à l’ombre des gommiers cacahuètes, sorgho et millet, mais déjà avant la guerre, le cours local de la gomme était si bas que nombre d’entre eux préféraient transformer leurs acacias en charbon ou travailler dans les mines d’or environnantes. La guerre pourrait lui porter un coup fatal. Aujourd’hui, prévient M. Khalil, « si la ceinture d’acacias disparaît, tout le monde va plonger avec elle ».

Le Monde avec AFP

Source: Le Monde