Les Etats-Unis face à la menace du défaut de paiement : cinq questions sur le " plafond de la dette "

May 23, 2023
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Le chef de file des républicains à la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, parle à la presse après sa rencontre cruciale sur le plafond de la dette avec Joe Biden, à la Maison Blanche, le 22 mai. EVAN VUCCI / AP

C’est Janet Yellen qui a tiré la sonnette d’alarme et fixé l’ultimatum : selon la secrétaire au Trésor des Etats-Unis, si le plafond de la dette publique américaine n’est pas relevé d’ici au 1er juin, le pays pourrait se trouver en défaut de paiement. Que se passe-t-il si l’Oncle Sam ne paie plus ses factures ? Nos explications.

Le plafond de la dette, c’est quoi ?

C’est la limite, votée par les parlementaires américains, à la somme que l’exécutif est autorisé à emprunter. Elle est actuellement fixée à 31 400 milliards de dollars (29 135 milliards d’euros). Le pays a atteint ce seuil en janvier et n’a payé ses factures, depuis, que grâce à des mesures d’urgence.

La naissance du plafond de la dette remonte à la première guerre mondiale, quand les Etats-Unis ont voulu faciliter l’effort de guerre en permettant au Trésor d’emprunter sans demander à chaque fois l’autorisation au Congrès, traditionnel maître des finances publiques : celui-ci énonçait alors seulement la limite à ne pas dépasser. Depuis 1960, le Congrès a relevé ce plafond à 78 reprises, selon le Trésor.

Faut-il relever le plafond de la dette pour éviter le shutdown ?

Non. Ces deux mécanismes ne sont pas liés mécaniquement, même si les tractations sur le plafond de la dette préparent souvent le débat budgétaire annuel. Comme le rappelle la Brookings Institution, think tank de référence en matière d’études économiques, le relèvement du plafond de la dette sert à payer des dépenses déjà engagées, tandis que la menace du shutdown − fermeture de l’administration fédérale − est liée à la discussion législative des dépenses à venir : elle revient donc tous les ans à l’automne, quand le gouvernement soumet au Congrès un projet de budget.

Les parlementaires doivent alors valider une douzaine de lois de finances correspondant aux principaux ministères. Si l’une ou l’autre n’est pas votée, l’exécutif ne peut pas engager les dépenses correspondantes et les agences publiques concernées n’ont d’autre choix que de cesser leurs activités « non essentielles » tant que les parlementaires n’ont pas trouvé un compromis. La principale conséquence est que de nombreux fonctionnaires ne se rendent plus au travail et que certains services publics ne fonctionnent plus.

Les Etats-Unis ont déjà connu des shutdowns, notamment en 2013, quand les dissensions sur l’Obamacare − la « protection sociale universelle » américaine − ont causé une fermeture de seize jours, et en 2018 quand les parlementaires s’écharpaient sur le mur « antimigrants » que Donald Trump voulait construire à la frontière mexicaine (trente-cinq jours de fermeture).

Que se passe-t-il si les Etats-Unis ne paient plus ?

Sur le papier, le shutdown est moins grave que le défaut de paiement, car la « fermeture » ne peut concerner que les 25 % de fonds publics soumis aux lois de finances annuelles, dont sont exclues notamment les allocations sociales. Elle n’interdit pas non plus au Trésor de continuer à payer les intérêts de ses emprunts. En revanche, « un échec concernant l’augmentation du plafond de la dette ne menace pas seulement la dépense annuelle sujette aux lois de finances, mais toute la dépense fédérale, incluant l’intérêt de la dette, la sécurité sociale, Medicare et d’autres prestations publiques », alerte la Brookings Institution.

La situation serait comparable à celle d’une entreprise en faillite : non seulement elle ne peut plus fonctionner, mais elle risque d’entraîner dans sa chute ses clients, ses prestataires et ses créanciers. Cette situation inédite aurait des conséquences potentiellement catastrophiques pour l’économie américaine et même mondiale. Les Etats-Unis pourraient ne plus pouvoir rembourser les porteurs de bons du Trésor américains, le placement préféré de la finance mondiale ; le gouvernement ne pourrait plus payer certains salaires de fonctionnaires ou les retraites d’anciens combattants.

Le simple fait de laisser planer le doute sur la capacité de remboursement fait du mal à l’économie. Lors de la précédente crise du plafond de la dette, en 2011, la menace d’une banqueroute avait suffi pour faire perdre aux Etats-Unis leur précieux triple A, la meilleure note de solvabilité attribuée par les agences de notation. Moins confiants dans la capacité du pays à rembourser, les marchés lui ont fait payer ses crédits plus cher : cette année-là, le temps passé à se mettre d’accord pour relever le plafond de la dette a coûté 1,3 milliard de dollars au contribuable, selon le US Government Accountability Office, l’équivalent de la Cour des comptes.

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En 2023 aussi, des effets concrets se font déjà sentir. Le prix des credit default swaps, sortes d’assurances sur le défaut de paiement des Etats-Unis, a déjà plus que doublé par rapport à 2011. Et Janet Yellen a souligné que les investisseurs sont « plus réticents à détenir de la dette souveraine qui arrive à échéance en juin ».

La secrétaire au Trésor a précisé qu’un défaut de paiement détruirait des emplois et des entreprises et laisserait sur le carreau des millions de familles qui dépendent des subventions de l’Etat fédéral. Des effets délétères toucheraient selon elle les secteurs les plus essentiels, comme « le contrôle aérien et le travail des forces de l’ordre, la sécurité aux frontières, la défense nationale et la sécurité alimentaire ».

Pourquoi le Congrès n’est-il pas encore parvenu à un accord ?

« L’Amérique n’a jamais fait défaut sur ses dettes et ce ne sera jamais le cas », a assuré Joe Biden. Pour que l’histoire lui donne raison, encore faut-il parvenir à un accord politique. Or les républicains, majoritaires à la Chambre des représentants depuis les élections de mi-mandat de novembre 2022, n’ont pas l’intention de se priver d’une occasion de faire pression sur le président démocrate. Ils exigent ainsi, pour donner leur feu vert à une augmentation du plafond de la dette, de ramener la dépense publique à son niveau de 2022.

L’administration Biden refuse : elle propose de maintenir la dépense publique à son niveau de 2023, et d’augmenter les impôts pour les plus riches et les entreprises. Joe Biden a averti qu’il refuserait un accord « qui protège des milliards de subventions pour les grandes sociétés pétrolières tout en mettant en danger les soins de santé de 21 millions d’Américains, ou qui protège les riches fraudeurs fiscaux tout en mettant en danger l’aide alimentaire pour un million d’Américains ».

Le locataire de la Maison Blanche et le chef de file des républicains à la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, ont échangé sur le sujet, lundi 22 mai, sans sceller de compromis. Toujours soucieux de rassurer, le président a assuré après la rencontre que les deux parties sont d’accord sur un point : l’hypothèse d’un défaut de paiement « n’est pas réellement sur la table ».

Faute d’accord au Congrès, existe-t-il des plans B ?

Certains démocrates rappellent que, d’après le 14e amendement de la Constitution, « la validité de la dette publique (…) ne peut être mise en cause ». D’après eux, le défaut de paiement de la dette américaine est inconstitutionnel. Par conséquent, rien ne saurait l’autoriser, pas même un désaccord au Congrès. Selon cette analyse, Joe Biden a le pouvoir de relever unilatéralement le plafond de la dette, quoi qu’en pensent les républicains. Lors d’une conférence de presse en marge du G7, dimanche, au Japon, le président n’a pas écarté cette option mais a dit douter qu’elle puisse être mise en œuvre d’ici au 1er juin.

Une dernière solution fait parler d’elle, consistant à émettre une pièce de monnaie de mille milliards de dollars pour la donner au Trésor et lui donner de l’air sans relever le plafond de la dette. Cette piste n’est farfelue qu’en apparence : elle avait agité Washington lors de la précédente crise du plafond, en 2011, avant d’être officiellement écartée par la Réserve fédérale et le Trésor, comme l’a raconté le Wall Street Journal. Janet Yellen a de nouveau balayé l’hypothèse pour cette année. Du reste, comme l’a expliqué Jason Furman, ancien conseiller économique de Barack Obama et professeur d’économie à Harvard, cette tentative explicite de contourner la loi aurait toutes les chances d’être censurée par les tribunaux.

Julien Lemaignen (avec AP et AFP)

Source: Le Monde