Cannes : “Les Feuilles mortes”, nouvelle pépite de drôlerie et de laconisme d’Aki Kaurismäki

May 23, 2023
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COMPÉTITION – Pour évoquer la naissance des sentiments entre deux esseulés, le réalisateur finlandais de “L’Homme sans passé” déploie des trésors d’humour.

Alma Pöysti et Martti Suosalo dans « Les Feuilles mortes », d’Aki Kaurismäki. Photo Malla Hukkanen/sputnik

Par Louis Guichard Partage

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Voici le film le plus court de la compétition cannoise. Alors que maints auteurs de renom ont tendance à miser sur la longueur, comme, cette année, Nuri Bilge Ceylan, Justine Triet ou Wang Bing, le mythique cinéaste finlandais (Au loin s’en vont les nuages, L’Homme sans passé) condense à l’extrême son propos et son style. Puisqu’il raconte toujours un peu la même histoire (une femme et un homme dans un univers hostile et désespérant), chaque nouvel opus lui offre l’occasion de tendre davantage vers l’épure. Les Feuilles mortes est un bijou de laconisme.

Elle et lui, donc, perdus à Helsinki. Elle, seule dans son petit appartement, se laisse submerger par la hideur des nouvelles du monde, à la radio – à toute heure, l’attaque de l’Ukraine par la Russie, qui partage une longue frontière avec la Finlande… Et lui, seul avec son énième verre et la fin de sa jeunesse, sombre déjà dans l’alcoolisme – le destin de beaucoup d’hommes chez Kaurismäki. Le jour, la loi du marché les exclut tous les deux, inéluctablement. Mais, une nuit, ils vont se rencontrer, puis se plaire (un événement absolu), puis se perdre, puis…

Un homme et une femme, et l’amour au milieu d’un univers hostile. Photo Malla Hukkanen/sputnik

Au royaume de l’humour pince-sans-rire, le rapport est, cette fois, stupéfiant entre la profondeur de la mélancolie et la drôlerie irrésistible que le cinéaste parvient à y puiser. À l’image de cette scène où un groupe féminin entonne, sur le podium d’un bar, une chanson de son cru. Les paroles, d’une noirceur et d’un nihilisme sans limite, jurent avec l’orchestration de pop pimpante. La posture figée, imperturbable et inexpressive des chanteuses ajoute encore une touche incongrue. Fou rire garanti.

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Idem quand les deux héros sortent d’un cinéma projetant The Dead Don’t Die, film de zombies de Jim Jarmusch, qu’un spectateur juge, aussitôt, très proche de… Journal d’un curé de campagne, de Robert Bresson. Le maître finlandais distille ces pépites comiques et euphémiques, qui ne ressemblent qu’à lui, d’un bout à l’autre des Feuilles mortes. Il en fait autant avec les clins d’œil cinéphiles, de l’affiche de Rocco et ses frères, de Luchino Visconti, à l’usage spécial et charmant du patronyme de Charlie Chaplin… Pour ses personnages éprouvés, le cinéma est un abri, fût-il quelque peu déserté, un lieu où se retrouver, dans tous les sens de l’expression. Symétriquement, Aki Kaurismäki offre à ses spectateurs un merveilleux refuge.

r Les Feuilles mortes, d’Aki Kaurismäki (Finlande/Allemagne, 1h21). Avec Alma Pöysti et Jussi Vatanen. En compétition. Sortie le 20 septembre.

Source: Télérama.fr