Pourquoi l'absentéisme au travail bat de nouveaux records en France

May 23, 2023
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La situation s'est aggravée en 2022, malgré les efforts de l'État pour endiguer le phénomène. Les jeunes et les cadres sont de plus en plus nombreux à se déclarer en arrêt.

Le problème n'est pas nouveau, mais il prend de l'ampleur... Dévoilée lundi, la 4e édition de l'observatoire de l'absentéisme Axa révèle que 44% des salariés ont été absents de leur poste au moins une fois au cours de l'année 2022. Soit près d'un salarié sur deux. Selon l'assureur, il s'agit d'un «record»: seul un tiers des salariés s'était arrêté au moins une fois en 2019, année de référence pré-Covid.

Cette étude, qui s'appuie sur le décryptage des données mensuelles issues du portefeuille du groupe (3 millions de salariés), n'est pas la première à alerter sur l'absentéisme croissant des Français. Le dernier baromètre du groupe de protection sociale Malakoff Humanis, publié en septembre, avançait des chiffres similaires: 42 % des 1800 salariés sondés avaient déposé un arrêt maladie entre septembre 2021 et septembre 2022. «Il faut remonter à l'année 2016 pour retrouver un taux équivalent», indiquait alors l'organisme.

Troubles psychologiques

2022 aura donc vu davantage de salariés absents que les années fortes de l'épidémie de Covid-19, 2020 et 2021. Une large partie des arrêts maladies enregistrés l'an passé seraient cependant imputables à la crise sanitaire, d'après Axa. Les vagues épidémiques liées au variant Omicron, apparu fin 2021 en France, expliqueraient en particulier la flambée des arrêts de travail compris entre 4 et 7 jours (+11,8% entre 2019 et 2022).

Mais ce sont les fragilités psychologiques, parfois aggravées par les confinements, qui retiennent l'attention de l'assureur: 22,2 % des arrêts de travail de longue durée survenus en 2022 sont causés par les troubles psychologiques. «Ce phénomène est d'autant plus inquiétant qu'il touche de plus en plus de jeunes salariés», note l'étude.

Tous motifs confondus, les jeunes sont d'ailleurs de plus en plus nombreux à se déclarer en arrêt. Le taux d'absentéisme des moins de 30 ans a plus que doublé entre 2019 et 2022. À l'opposé de la pyramide des âges, les séniors présentent eux un absentéisme «plus modéré», malgré «un allongement de la durée moyenne des arrêts».

Comme par le passé, les cadres manquent moins à l'appel que les autres travailleurs: 2,3% de taux d'absentéisme en 2022 pour les premiers, 5,4% pour les seconds. Mais la tendance observée ces dernières années n'en est pas moins préoccupante. Selon l'observatoire, «le taux d'absentéisme chez les cadres a connu une hausse de 41% entre 2019 et 2022». Les chaises vides sont plus fréquentes dans les grandes entreprises que dans les petites structures, où il est «plus difficile de pouvoir s'arrêter sans mettre l'entreprise en difficulté», note l'étude.

Stratégie de prévention

Reste que les grands comme les petits employeurs sont pénalisés par l'absentéisme des salariés. Comme le souligne Axa, les désagréments causés par l'absence d'un ou plusieurs collaborateurs sont nombreux: perte de productivité, détérioration de la qualité de service, stress supplémentaire pour les salariés devant remplacer les absents, répercussions sur le climat social… «Sans compter les coûts financiers, directs et indirects, de l'absentéisme, en partie seulement couverts par les régimes de prévoyance», observe l'assureur.

Une étude de l'Institut Sapins datée de 2018 évaluait à près de 107 milliards d'euros par an les pertes de valeurs annuelles provoquées par l'absentéisme, «soit, en ordre de grandeur, 4,7 points de PIB». Son co-auteur, Laurent Cappelletti, érige l'absentéisme au rang de «question d'intérêt général». «Avec des salariés absents, vous perdez en productivité , ce qui signifie moins de PIB, et finalement un appauvrissement de la France», alerte le titulaire de la chaire comptabilité et contrôle de gestion du Conservatoire national des arts et métiers.

Premier financeur des arrêts de travail des salariés, l'État a pris la mesure du phénomène. «Les arrêts maladie représentent un treizième mois!», s'était indigné l'ancien Premier ministre Edouard Philippe à l'été 2018, promettant une grande réforme sur les indemnités journalières (IJ). Mais cette volonté affichée est restée lettre morte et les IJ ont continué à s'envoler. Malgré le déconfinement, leur progression se chiffrait encore en avril à 6,1% par rapport à la même période l'an dernier.

Le gouvernement a bien tenté de limiter les déclarations abusives, en prohibant les arrêts maladies délivrés par téléconsultation. Il a également travaillé sur les risques sanitaires et le mal-être au travail, en érigeant la prévention au rang de priorité du quinquennat. Mais, pour Laurent Cappelletti, l'État est loin de considérer toutes les dimensions du problème. «L'absentéisme témoigne en grande partie des dysfonctionnements managériaux qui minent la qualité de vie au travail», estime-t-il. Les conditions de travail physiques et psychologiques ne sont, selon lui, qu'un vecteur parmi d'autres de l'absentéisme. «Il faut aussi prendre en compte la gestion du temps, l'organisation du travail, les perspectives de carrières ...», plaide-t-il. Autant de pistes qui expliqueraient l'essor des arrêts de travail chez les jeunes et les cadres, autrefois bons élèves en matière d'absentéisme.

Quelles qu'en soient les explications, la tendance à la chaise vide n'est pas près de s'inverser en France. En témoignent les projections d'Axa pour l'année en cours. Certes, l'assureur anticipe «une légère baisse de l'absentéisme par rapport en 2022», grâce à la neutralisation progressive du Covid-19. Pas un retour à la normale pour autant. «Le taux d'absentéisme et le pourcentage de salariés absents au moins un jour sont attendus à des niveaux bien supérieurs à ceux de 2019», prévient l'assureur.

Source: Le Figaro