Immigration : Pourquoi les politiques français se passionnent-ils tant pour le Danemark ?

May 24, 2023
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Il y a quelque chose de « sexy » au royaume du Danemark. Du moins, pour certains responsables politiques comme Eric Ciotti, qui s’est envolé mardi vers le nord de l’Europe. Accompagné d’une poignée d’élus, le président des Républicains s'en va rencontrer des responsables danois pour « analyser la politique de réduction drastique des flux migratoires » de l’Etat scandinave. Une politique d’immigration - l’une des plus restrictives d’Europe - qui est un « modèle » pour la droite ou le Rassemblement national, et un sujet de curiosité pour de nombreux responsables politiques français.

« Un nationalisme social au nom de l’Etat providence »

Sur cette question migratoire, le petit royaume aux 5.8 millions de têtes a opéré un changement politique spectaculaire depuis une vingtaine d'années, avec une accélération depuis la crise des migrants en 2015. Plan anti-ghettos, possibilité de confisquer les biens à l’arrivée sur le territoire, accès restreint aux allocations, tests de langue renforcé et de connaissance de l’Histoire du pays, expulsions en cas de manquement à la loi, externalisation de l’asile… Cette batterie de mesures visant à dissuader les arrivées d'étrangers a d'abord été mis en place par la droite de gouvernement, sous pression du parti nationaliste (le Parti du peuple danois). Puis, de manière plus inattendue, par le gouvernement social-démocrate, au pouvoir depuis 2019.

« La victoire des sociaux-démocrates procède d’un nationalisme social assumé au nom de l’État providence. C’est sur cette base que les politiques migratoires restrictives ont été conçues à partir des années 2000 », explique la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), dans une longue note publiée en janvier dernier. « La politique migratoire fait aujourd’hui l’objet d’un consensus. En un peu plus de vingt ans, les Danois ont changé de majorité à plusieurs reprises, mais jamais de politique migratoire », précise le texte.

La loi sur les étrangers a ainsi été modifiée plus de 130 fois en vingt ans, dans l’objectif de restreindre l’immigration et durcir les conditions d’accueil, s’attirant à plusieurs reprises les critiques d’organisations internationales. Et La Première ministre actuelle, Mette Frederiksen, continue de défendre l’objectif « zéro réfugié », alors que les demandes d’asile ont déjà chuté de plus de 80 % depuis 2014.

« C’est une référence en matière de maîtrise migratoire »

Cette politique, soutenue par une écrasante majorité de la population danoise, a fait reculer l’immigration dans les sujets de préoccupation. « Entre janvier 2020 et novembre 2022, ce thème est passé de la deuxième à la huitième place », rapporte la Fondapol. Ces résultats ne manquent pas d’être scrutés en France, où la question migratoire fait régulièrement l’objet de tensions. « L’immigration transcende les clivages au Danemark. Ils ont réussi à dépolitiser le sujet, à ce qu’il ne soit plus tabou, comme c’est trop souvent le cas chez nous », soupire Eric Pauget, député LR des Alpes-Maritimes. « C’est une référence en matière de maîtrise migratoire. Nos propositions s’inspirent en grande partie de ce qui s’est fait dans ce pays », ajoute-t-il, alors que LR a présenté ce dimanche deux propositions de loi sur le sujet.

La droite n’est pas la seule à s’intéresser au cas scandinave, souvent cité en exemple par Eric Zemmour ou le Rassemblement national. Le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, était lui aussi début mai dans le pays de Hamlet. « Je rencontre ici, à Copenhague, les responsables de la classe politique danoise […] pour comprendre comment ce centre-gauche a opéré une mutation idéologique assez importante qui lui a permis de mettre au tapis l’extrême droite », expliquait-il dans une vidéo ambiguë publiée sur Twitter. Si l'ancien socialiste se félicitait de la chute électorale du Parti du peuple danois (passé de 21 % en 2015 à 2.7 % en novembre 2022 **), il ne soutenait pas pour autant la politique menée. Contacté par 20 Minutes, son entourage précise : « Jamais la France n’ira aussi loin que le Danemark, les mesures ne sont pas duplicables pour des raisons historiques, culturelles, géographiques et juridiques. Mais la gauche peut et doit parler d’immigration. Elle est légitime lorsqu’elle développe un discours sur la soutenabilité du modèle social ».

Etre ou ne pas être Danois ?

Au sein de la majorité, on admet une certaine curiosité. « C’est intéressant, c’est un modèle que l’on regarde. On voit bien que lorsqu’on est très clair sur les principes, l’extrême droite recule... », confie un député cadre de Renaissance. A gauche, le programme danois est souvent assimilé à celui de l’extrême droite, mais les succès électoraux des socio-démocrates ne laissent pas toujours indifférents. « La gauche doit être plus présente sur l’immigration. Quand on a vocation à gouverner, c’est un sujet politique dont on doit s’emparer, sans tomber dans le piège de s’aligner sur le discours de la droite et de l’extrême droite », dit-on dans l’entourage du communiste Fabien Roussel.

Reste que pour mettre en place sa politique migratoire restrictive dans le cadre européen, le Danemark bénéficie d’une spécificité juridique. C’est le fameux op-out (option de retrait), négocié après le rejet initial du traité de Maastricht en 1992, qui lui permet de déroger au droit européen. « Si les Danois ont une dérogation, je ne vois pas pourquoi la France ne pourrait pas, défend Eric Pauget. C’est le sens de notre proposition de modification constitutionnelle pour faire primer, dans certains cas, le droit national sur les traités européens ». Etre ou ne pas être inspiré par le Danemark ? La question devrait continuer d’agiter la classe politique française alors que le projet de loi du gouvernement sur l’immigration doit être présenté ces prochaines semaines.

* La Fondation pour l’innovation politique, qui se définit comme un « think tank libéral, progressiste et européen », est proche de la droite française. Son directeur général, Dominique Reynié, était candidat LR aux régionales de 2015.

** Ce score s’explique aussi par l’émergence d’un nouveau parti populiste, les Démocrates du Danemark (8,1 %) et le résultat de La Nouvelle Droite, le parti nationaliste (3,7 %).

Source: 20 Minutes