Ukraine, Soudan, Sahel… Pourquoi l’ONU semble-t-elle échouer à protéger les civils dans les conflits ?

May 24, 2023
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C’est un aveu d’échec douloureux pour la communauté internationale. Elle n’a pas réussi à protéger les civils, innocentes victimes des conflits armés dans le monde. Le nombre de victimes de combats et de leurs conséquences humanitaires a fortement augmenté en 2022. « La vérité est terrible : le monde est en train d’échouer à remplir ses engagements pour protéger les civils, des engagements consacrés par le droit humanitaire international », a ainsi regretté mardi le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres.

Ukraine, République démocratique du Congo, Soudan, Sahel, Somalie, Birmanie, Afghanistan, Syrie… Comment expliquer l’impuissance d’organisations aussi influentes que l’ONU dans ces pays ? Pourquoi la communauté internationale, et l’Occident en première ligne, n’arrive-t-elle pas se poser en bouclier contre les violences subies par les populations ? Le droit international humanitaire montre aujourd’hui ses limites tant il est violé par certaines puissances, mais est-il pour autant inutile ?

Blocages au Conseil de sécurité

Dans le cas de conflits armés, le Conseil de sécurité de l’ONU a des moyens d’agir. Il peut, par exemple, décider d’un mandat sur une opération de maintien de la paix, c’est la mission des casques bleus. Il peut aussi former une coalition internationale, comme ça a été le cas en Syrie pour lutter contre l’Etat islamique en 2014. Sauf que le Conseil de sécurité a besoin de l’accord des cinq membres permanents (France, Etats-Unis, Royaume-Uni, Russie et Chine) qui ont aussi le droit de veto. Ce mandat de protection des civils est déjà « très compliqué à mettre en place, quand il est obtenu car la Chine et la Russie sont très réticentes et sont dans une position offensive de tout bloquer », explique Camille Bayet, doctorante en sciences politiques au centre Thucydide de l’Université Panthéon Assas, à 20 Minutes.

Un blocage qui s’est amplifié avec l’entrée en guerre de la Russie. Cette dernière ne va pas se tirer une balle dans le pied en autorisant une mission en Ukraine. C’est un fait, « quand un pays envahit son voisin, il se préoccupe peu des civils », souligne à 20 Minutes Isabelle Dufour, directrice des études stratégiques chez Eurocrise. Depuis 2011, Pékin et Moscou sont frileux à donner leur accord. Les deux pays amis avaient accepté la formation d’une coalition d’ordre humanitaire menée par les Etats-Unis en Libye. Résultat, ils se sont sentis trahis lorsque cette coalition s’est servie de l’intervention pour finalement assassiner Mouammar Kadhafi. « C’est aussi à cause de ça qu’on est jamais intervenus en Syrie », ajoute Camille Bayet.

La difficile mission du maintien de la paix

Et même quand on arrive à intervenir, comme ça a été le cas dans le passé au Rwanda, en ex-Yougoslavie, en Afghanistan, au Mali, la mission s’est souvent soldée par un échec. « Ce sont des conflits que les armées n’arrivent pas à gérer car les solutions ne sont pas militaires il faut une stratégie cohérente pour un Etat à long terme, et on n’arrive pas à le faire, résume Isabelle Dufour. On fait un constat d’échec du maintien de la paix. »

Une mission difficile qui s’ajoute à un manque de volonté de la part des Etats. « On pourrait imaginer des casques bleus en Birmanie mais est-ce qu’on est prêt à y envoyer nos militaires ? Après tant d’échecs et un travail très compliqué sur des années, on se demande à quoi ça rime. Au Soudan par exemple, aucun pays militairement crédible veut risquer la peau de ses soldats », martèle Isabelle Dufour.

Le droit international, un droit « mou »

Ce n’est pas tant l’armement actuel qui fait des victimes civiles, mais l’usage qu’on en fait. « Aujourd’hui, nous sommes dans une dynamique industrielle et technologique très précise, il n’y a pas plus précis que le drone », explique Camille Bayet. Alors viser des hôpitaux, des écoles ou utiliser la technique de la double frappe, qui consiste à bombardement une zone qui vient d’être attaquée pour faire encore plus de victimes, c’est un acte délibéré.

Pourtant, le droit international humanitaire (DIH) tend à limiter les dégâts sur les civils. Et viser des civils est strictement interdit, c’est un crime de guerre. Mais « notre application de ce droit international humanitaire n’est jamais parfaite, c’est un droit mou, un droit de régulation, il n’existe pas d’autorité au-dessus des Etats qui peuvent le faire appliquer », note Isabelle Dufour. Il est certes imparfait, mais pour Camille Bayet, il reste indispensable. « S’il n’existait pas, est-ce que ça ne serait pas pire ? », s’interroge-t-elle.

La mobilisation citoyenne, un moyen de pression

La difficulté de protéger les civils vient aussi de la « civilianisation de la guerre », selon Julia Grignon, directrice scientifique de l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (Inserm) et professeure à l’université de Laval. « Aujourd’hui, ils sont au plus proches des conflits, comme à Bakhmout ou Marioupol, et parfois ils sont les enjeux mêmes du conflit », développe-t-elle. Pour empêcher qu’ils soient pris pour cible, il reste les sanctions économiques, diplomatiques ou militaires même si « ce ne sont pas des moyens totalement efficaces », concède Julia Grignon.

Malheureusement, l’année 2023 ne s’annonce pas tellement meilleure que 2022. Le Tigré, le Soudan, la Birmanie, l’Arménie, sans compter la guerre en Ukraine qui va continuer à faire des victimes sur des années même si les combats prennent fin… « Les perspectives ne sont pas bonnes », prévient Isabelle Dufour. Julia Grignon appelle alors à « exercer des moyens de pression sur nos gouvernements pour qu’ils agissent » et même si la situation est « un peu désespérante, il faut rester mobilisé. »

Source: 20 Minutes