Turquie : à la veille des élections, le gouvernement islamo-conservateur cible à nouveau la minorité kurde

April 26, 2023
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Première célébration de Pâques depuis huit ans dans l’église arménienne Surp Giragos de Diyarbakir, dans le sud de la Turquie, le 9 avril 2023, après qu’elle a été endommagée par les affrontements entre l’armée turque et le PKK en 2015 et 2016. BURCIN GERCEK / AFP

Plus de cent vingt personnes ont été arrêtées, mardi 25 avril, dans des provinces à majorité kurde du sud-est de la Turquie, lors d’un coup de filet décrit par les autorités comme une « opération antiterroriste » contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), un groupe armé en lutte contre Ankara depuis 1984.

Lancée dans vingt et une villes, l’opération a surtout visé Diyarbakir, la capitale régionale. Elle s’est achevée dans cette métropole par les arrestations de la moitié des avocats du barreau, d’une partie de la Chambre des ingénieurs des mines, de membres des associations des droits humains.

Parmi les interpellés, on trouve aussi des représentants de l’association Juristes libres, onze journalistes, dont Abdurrahman Gök, rédacteur en chef de la Mezopotamya News Agency, ainsi que trois acteurs de théâtre et d’autres représentants de l’élite politico-intellectuelle kurde.

Charges révélées à la télé

D’emblée, le dossier judiciaire a été classé confidentiel, les prévenus et leurs avocats n’y ont donc pas eu accès, une violation dénoncée par le barreau de Diyarbakir dans un communiqué. « Pour qu’un procès soit équitable, les justiciables doivent être informés dès que possible de la nature des accusations qui pèsent contre eux. Dans le cas présent, l’accès au dossier est empêché et les avocats ne peuvent pas rendre visite à leurs clients. »

Restées officiellement secrètes et inaccessibles aux premiers concernés, les charges ont en revanche été exposées dans le détail sur le plateau de TRT, la chaîne de télévision progouvernementale, visiblement bien renseignée, qui en a révélé la teneur juste après la vague d’arrestations. La divulgation de la procédure judiciaire par les médias propouvoir, alors que les accusés ne peuvent en avoir connaissance, est devenue emblématique du fonctionnement de la justice en Turquie.

Emma Sinclair-Webb, la représentante de Human Rights Watch pour l’Europe et l’Asie centrale, a condamné le fait que la défense, « comme d’habitude », n’ait pas pu avoir accès au dossier. Les arrestations sont clairement « un abus de pouvoir et une tactique d’intimidation avant l’élection », a-t-elle souligné sur son compte Twitter.

Selon les informations diffusées par la chaîne TRT, les 126 personnes placées en détention auraient financé le PKK, une organisation classée comme terroriste par Ankara, Bruxelles et Washington. Les transferts de fonds auraient eu lieu via des entreprises opérant depuis des municipalités gérées par le Parti démocratique des peuples (HDP, gauche prokurde), la troisième formation parlementaire de Turquie. Ces accusations viennent s’ajouter aux ennuis judiciaires du HDP, qui est en passe d’être interdit par la Cour constitutionnelle pour ses liens présumés avec le PKK, ce qu’il nie.

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Source: Le Monde