Sylvie Retailleau sur l’écriture inclusive: "Nous ne remettrons jamais en cause la liberté académique"
ENTRETIEN - Après l’annulation par la justice des statuts de l’université de Grenoble, rédigés en écriture inclusive, et la distribution d’un sujet d’examen en écriture «non-binaire» à l’université Lyon-2, Sylvie Retailleau, ministre de l’Enseignement supérieur, répond aux questions du Figaro.
De la communication des établissements aux sujets d’examens, l’écriture inclusive semble s’inscrire comme norme dans l’enseignement supérieur. Le 10 mai, des étudiants en droit de l’université Lyon-2 ont dû plancher sur un cas pratique en écriture «non-binaire» - le mot «touz» remplaçant «tous» et «als» remplaçant «ils», notamment. Une initative défendue par la direction, alors que le 11 mai, le tribunal administratif de Grenoble annulait les statuts du service des langues de l’université Grenoble-Alpes, rédigés en écriture inclusive. Pour faire le point sur la question, Sylvie Retailleau, ministre de l’Enseignement supérieur a répondu à nos questions.
LE FIGARO. - Diriez-vous que l’écriture inclusive, et plus globalement l’usage du français, est une problématique à laquelle est confrontée l’enseignement supérieur?
Les cas problématiques liés à la compréhension et la lisibilité des textes restent rares. De cas particulier, il ne faut pas faire une généralisation. La question qui est posée, c’est celle des biais que peuvent porter nos usages de la langue. En tant qu’enseignante-chercheuse, je n’ai jamais ressenti de sexisme. Mais, après avoir pris des responsabilités, j’ai plus souvent constaté le plafond de verre, la non-reconnaissance, la légitimité naturelle du costume-cravate. Il existe encore des problématiques liées à l’inclusion, à l’attractivité des filles dans certains métiers. Avec Elisabeth Borne et Isabelle Rome, nous luttons contre cela. Et donc je veille à privilégier l’usage d’une expression inclusive, que je différencie de l’écriture dite inclusive utilisant le point médian. C’est-à-dire que j’essaye d’appliquer de manière intelligible, claire et respectueuse la langue française, en parlant «des étudiantes et des étudiants» ou en disant «chers toutes et tous». Des expressions dans lesquelles on englobe finalement l’ensemble des auditeurs et des auditrices.
L’écriture inclusive a-t-elle sa place dans les établissements d’enseignement supérieur et à l’université?
Sur cette question, il faut distinguer le fonctionnement des établissements et le contenu pédagogique des cours. Pour les établissements, la circulaire d’Edouard Philippe (NDLR: relative aux règles de féminisation et de rédaction des textes publiés au Journal officiel, qui «invite» à ne pas faire usage de l’écriture inclusive), datant de 2017, doit être respectée. Cela permet que les textes statutaires, officiels, des établissements soient lisibles et compréhensibles. Cela facilite également l’accessibilité aux personnes aveugles et malvoyantes des logiciels de synthèse vocale pour les personnes, lisant plus difficilement la féminisation par le point médian. Du côté des enseignants et des contenus pédagogiques cependant, c’est la liberté académique qui prime, un principe auquel je suis bien sûr très attachée. Nous ne remettrons jamais en cause la liberté académique. Il faut respecter cette autonomie, nous ne pouvons avoir que des recommandations.
La présence de l’écriture inclusive dans un examen de droit est-elle un outil pour faire prendre conscience de certains problèmes? L’université est au moins un lieu où l’on peut en débattre Sylvie Retailleau, ministre de l’Enseignement supérieur
Derrière les bonnes intentions, cette graphie, par ailleurs évolutive, relève du militantisme. N’y voyez-vous pas l’introduction d’un biais dans l’apprentissage?
Je dissocie trois niveaux de langue: l’expression inclusive, l’écriture dite inclusive - celle qui comprend l’utilisation du point médian notamment - et cette quasi-nouvelle écriture (NDLR: écriture «non-binaire» observée dans un sujet d’examen à l’université Lyon 2). Tous les linguistes le savent, l’usage des langues n’est jamais figé. La féminisation des noms des titres est quelque chose qui choquait il y a 20 ans. Mais il ne faut jamais pénaliser des étudiants. Les établissements ont, à ce niveau, un rôle à jouer dans un certain cadrage. Le guide de communication inclusive que l’on m’a par exemple présenté à l’université Laval, au Canada, est je trouve très intéressant. Il prône l’expression inclusive à l’écrit tout en présentant et expliquant les problématiques liées à ce qu’ils appellent la forme «tronquée» de l’écriture (comprenant le point médian, la barre oblique ou les crochets).
À lire aussiA-t-on le droit d’imposer l’écriture inclusive dans l’enseignement supérieur?
En 2021, la circulaire Blanquer proscrivait le recours à l’écriture inclusive dans l’Education nationale. Peut-on envisager la rédaction d’un texte administratif de la même espèce dans l’enseignement supérieur?
La circulaire de 2017 s’applique déjà aux établissements. Que dirait de plus une autre circulaire puisqu’il faut déjà que l’écriture d’un texte institutionnel soit intelligible? S’agissant des cours (y compris des examens comme le rappelle le Code de l’Education), c’est la liberté académique qui prime, et une circulaire ne saurait le remettre en cause. Cette liberté est permise par le fait que nous nous adressons à de jeunes adultes. C’est un lieu de débat et de sensibilisation, où l’on fait appel au sens critique des jeunes adules qui sont à même de se forger leurs propres opinions. La présence de l’écriture inclusive dans un examen de droit est-elle un outil pour faire prendre conscience de certains problèmes? L’université est au moins un lieu où l’on peut en débattre.
Il y a aujourd’hui tout un tas d’utilisations de la langue française. Il faut apprendre à s’en servir à bon escient Sylvie Retailleau, ministre de l’Enseignement supérieur
En tant que présidente de Paris-Saclay, vous avez dirigé la publication d’un «guide pratique de communication pour un langage égalitaire», faisant notamment la promotion du point médian. Le réécririez-vous aujourd’hui?
Les établissements ont aussi un rôle à jouer dans l’accompagnement de leurs enseignantes et enseignants sur ces questions. C’est précisément à ce titre que l’établissement dont j’étais présidente a souhaité accompagner ses acteurs. Cela répondait à beaucoup de questions d’utilisation au moment où la société découvrait le point médian. Il y a aujourd’hui tout un tas d’utilisations de la langue française. Il faut apprendre à s’en servir à bon escient. En tant que ministre mes encouragements sont clairs: lutter contre les biais d’expression en s’adressant à toutes et tous, d’une manière intelligible, respectueuse de notre belle langue.
Source: Le Figaro