A Mayotte, une première évacuation d’un bidonville dans la résignation : " C’est là que je suis née, que j’ai eu mes enfants "

May 25, 2023
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ReportagePelleteuses s’attaquant aux habitations, ruban rouge et blanc aux entrées du vaste chantier… Depuis lundi 22 mai, la destruction de Talus 2 dans le cadre de l’opération « Wuambushu » se déroule dans le calme. Les habitants se plaignent surtout de leurs conditions de relogement et s’inquiètent pour leur avenir.

C’est comme si un ogre gigantesque avait croqué dans la colline, laissant après sa morsure un amas de tôle, de béton, de ferraille, de terre ocre et retournée, de végétaux luxuriants. Au principal carrefour de Majicavo, juste en face de la mosquée blanche, se trouvait le quartier de Talus 2, un bidonville accroché à flanc de montagne. Depuis lundi 22 mai, les pelleteuses détruisent méthodiquement les quelque 160 habitations qui s’étageaient en un dédale aussi étroit que serré jusqu’au sommet.

Cette opération de destruction, autorisée par la justice après un mois de suspension, est aujourd’hui la face la plus visible de l’entrée en vigueur de l’opération « Wuambushu » (« reprise », en mahorais), décrétée par le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, et visant à s’attaquer à l’habitat insalubre, à l’immigration clandestine et à l’insécurité sur l’île, 101e département français.

Les entrées de Talus 2 sont désormais barrées par du ruban rouge et blanc interdisant l’accès au chantier. Le quartier est gardé par trois camions de gendarmes. Leur responsable, un brin martial mais cordial, fait visiter, de loin : « Les engins de chantier opèrent du bas vers le haut de la colline avec énormément de précaution car on a ici affaire à un véritable château de cartes », explique-t-il avec componction sous son chapeau aux bords relevés. Il reste, dans le périmètre, une seule maison bâtie en parpaings de béton et considérée comme « salubre ». L’évacuation ? « C’était tranquille, les habitants savaient que c’était inévitable. Ils avaient été prévenus en amont. Certains voulaient encore emporter quelques affaires lundi, c’est tout. » La nuit, il y en a encore qui viennent récupérer en douce de la tôle ondulée.

L’évacuation n’a pas donné lieu à des heurts, comme cela peut facilement être le cas à Mayotte, mais elle ne s’est pas faite sans drame. Un ouvrier de l’entreprise de démolition, Abdou Abdallah Madi, a été victime d’un accident vasculaire cérébral le matin même du début des travaux. Il habitait Talus 2 et s’apprêtait donc à participer à la destruction de sa propre maison et d’une autre qu’il avait construite. « On lui a parlé juste avant, se souvient Anicha, 22 ans, venue assister à la disparation de son quartier d’enfance. Il ne voulait pas travailler ce jour-là. Il avait demandé un congé, mais son patron a refusé. Il a dit : “Il y a pas le choix, c’est la vie.” Puis, il est parti ramasser des débris. On ne l’a pas revu. C’est moi qui ai dû prévenir sa famille. »

Les forces de gendarmerie sécurisent la destruction du bidonville de Talus 2, le 24 mai 2023, dans le quartier de Majicavo, à Koungou (Mayotte). MORGAN FACHE POUR « LE MONDE »

Destruction du bidonville de Talus 2, le 24 mai 2023, dans le quartier de Majicavo, à Koungou (Mayotte). MORGAN FACHE POUR « LE MONDE »

M. Madi, qui n’avait que 47 ans, est décédé dans la nuit de mardi à mercredi, plongeant ses proches dans la stupeur. L’homme s’était beaucoup engagé dans les recours contre la destruction de Talus 2. Mercredi midi, il était enterré par tout le village, qui a marché en procession depuis la mosquée jusqu’au cimetière délabré, à l’entrée du quartier de Koungou. Pendant toute la cérémonie, les pelleteuses n’ont cessé de travailler sur la colline de Talus 2, juste en face. Très digne, la sœur d’Abdou Abdallah Madi, qui recevait les condoléances dans sa maison derrière la mosquée, a expliqué au Monde ne pas souhaiter s’exprimer pour le moment.

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Source: Le Monde