Festival de Cannes 2023 : pourquoi le cinéma africain offre une présence inédite sur la Croisette
Le Festival de Cannes s'enorgueillit cette année de son ouverture sur les cinéastes africains. Une présence qui reflète le travail des professionnels sur le continent et le rôle essentiel de la coproduction.
Fin de la projection du film Banel e Adama de la Franco-Sénégalaise Ramata-Toulaye Sy en lice pour la Palme d'or. Une journaliste chinoise est en larmes. Pourquoi ? "J'ai été très émue par ce film. Je suis venue à cette projection un peu par défaut. Le cinéma africain constitue un territoire vierge pour moi et j'ai beaucoup aimé ce film", répond-t-elle, curieuse d'en savoir un peu plus sur la cinéaste installée à quelques rangées d'elle et qui revisite avec sophistication et une sublime photographie ces films africains dont les décors sont des villages. "Je sais que c'est un film compliqué. J'espère en tout cas qu'il vous a touchés. C'est le plus important", a déclaré Ramata-Toulaye Sy le samedi 20 mai après la présentation de son long métrage. Pari réussi.
Cette année, le Festival de Cannes semble avoir décidé de s'employer à combler un vide. Plus d'une quinzaine de films, tous formats et toutes sections confondus, réalisés par des cinéastes africains sont projetés sur la Croisette. Dès la conférence de presse du Festival de Cannes, le 13 avril dernier, Thierry Frémaux, son délégué général, s'était vanté de la "forte présence du continent africain" dans la sélection officielle marquée par une nouvelle génération de cinéastes, pour la plupart des réalisatrices. Les Filles d'Olfa, film concept de la Tunisienne Kaouther Ben Hania qui se joue des codes du docu-fiction, et le premier long métrage de Ramata-Toulaye Sy sont en compétition.
Des premières pour la RDC et le Soudan
Quant à la Marocaine Asmae El Moudir, elle a présenté Kadib Abyad (La Mère de tous les mensonges) à Un Certain Regard. Tout comme le Belgo-Congolais Baloji (Augure), grâce à qui la République démocratique du Congo (RDC) est pour la première fois dans la sélection officielle, le Marocain Kamel Lazraq (Les Meutes) ou encore Mohamed Kordofani (Goodbye Julia) qui offre également au Soudan sa première sélection cannoise. La projection a été l'occasion pour le réalisateur de lancer un message de soutien à ses compatriotes dont le pays est en proie à une guerre civile et de souligner qu'une partie de son équipe n'était pas présente parce qu'elle n'avait pas obtenu de visa.
Plusieurs films africains sur la Croisette mais pas de quoi pavoiser. "Pour les profanes, c'est inédit", explique la distributrice et critique de cinéma Claire Diao. "Pour ceux qui ont l'habitude de circuler au Fespaco [le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou, le principal rendez-vous du cinéma africain qui se tient tous les deux ans au Burkina Faso] aux JCC [Journées cinématographiques de Carthage en Tunisie], à Durban [festival de cinéma qui se tient en Afrique du Sud] et dans plein d'autres rendez-vous cinématographiques du continent, ce n'est que justice pour tous les professionnels de ce continent qui n'arrivent pas à émerger sur la scène internationale et qui, pourtant, travaillent ardemment depuis des années".
Même son de cloche chez Houda El Amri, conseillère éditoriale à Canal Plus International qui a soutenu quelques-uns des films projetés. "Ça y est, les sélectionneurs de Cannes savent qu'on a de bons films". "C'est le signe que les productions africaines commencent à être reconnues", note également Pierre Barrot, spécialiste de programmes cinéma et audiovisuel à l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) qui a accompagné six des films africains présents sur la Croisette (Les Meutes, Les Filles d'Olfa, Banel e Adama, Déserts, Augure et Mambar Pierrette).
Le reflet d'un "bouillonnement"
S'il salue cette prise de conscience, Gérard Marion, directeur du Festival Lumières d'Afrique dédié au cinéma africain qui se déroule chaque année à Besançon, fait remarquer qu'elle est tardive. "Il y a un grand choix de films du continent africain, tant mieux. Il y a quand même 54 pays, 54 cinéphilies... Enfin, ça monte dans le graal du graal. C'est très bien que les sélectionneurs le comprennent. Berlin, Toronto et Locarno [festivals de cinéma qui ont lieu respectivement en Allemagne, au Canada et en Suisse] l'avaient compris bien avant, donc c'est bien que ça arrive ici à Cannes". Et Gérard Marion d'en profiter pour pousser un coup de gueule. "C'est la chienlit cette année (...) Les salles sont vides mais les séances sont marquées complètes (au niveau de la billetterie en ligne). On ne peut pas voir les films. Il faut se prostituer – j'appuie sur le mot – auprès des distributeurs et des producteurs, qui n'ont rien, pour avoir des places et voir les films. Ce n'est pas normal."
La richesse de l'offre de films africains traduit également le dynamisme de l'industrie ces dernières années. "C'est juste le reflet, analyse Claire Diao, de tout ce qui se passe actuellement sur le continent. On parle de 54 pays. Avoir une quinzaine de cinéastes africains sélectionnés, ce n'est pas si massif mais en même temps, c'est assez représentatif de la diversité du continent, que l'on parle de l'Afrique lusophone avec Nome du Bissau-Guinéen Sana Na N’Hada à l'Acid, de l'Afrique du Nord avec plusieurs longs métrages marocains [Déserts de Faouzi Bensaïdi projeté à la Quinzaine des cinéastes, Les Meutes, Kadib Abyad], de la Tunisie, du Sénégal, du Cameroun avec Mambar Pierrette de Rosine Mbakam à la Quinzaine des cinéastes ou encore de l'Egypte [Al Toraa’ de Jad Chahine présenté à la Cinef qui rassemble les films d'école et I promise you paradise de Morad Mostafa, court métrage sélectionné à la Semaine de la critique]".
Le coup de pouce de la coproduction française
"C'est un très bon signal envoyé sur le fait que le talent est là, estime encore Claire Diao, qu'il a fallu des années pour mettre sur pied des industries, les labs, les systèmes de financement, des systèmes de coproduction et qu'aujourd'hui Cannes ne va être que le reflet de tout ce bouillonnement qu'il y a sur le continent".
Une effervescence qui doit beaucoup, notamment en Afrique subsaharienne, à la coproduction française. La France, premier coproducteur mondial et dont le Festival de Cannes dans sa programmation atteste, est très investie depuis toujours dans le financement du septième art sur le continent. Augure est une coproduction dans laquelle la France est majoritaire (le film a donc aussi la nationalité française). Tout comme Banel e Adama. A ce titre, des pays comme le Maroc font figure d'exception. "Il y a trois films marocains dans les différentes sections. Ce n'est pas un hasard", note Pierre Barrot, spécialiste de programmes cinéma et audiovisuel à l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) qui a accompagné six des films africains présents sur la Croisette dont la moitié sont des premiers films (Les Meutes, Les Filles d'Olfa, Banel e Adama, Déserts, Augure et Mambar Pierrette)
Soutenir son propre cinéma
"Le Maroc est un pays qui a un fond d'aide qui soutient son propre cinéma. A part l'Afrique du Sud, c'est le pays africain capable de mettre le plus de moyens (pour produire des films)", souligne Pierre Barrot de l'OIF. Ce dernier indique qu'il y a aussi, "ces dernières années", plus de financements disponibles pour le cinéma africain. "Les fonds européens sont plus importants pour la production en Afrique subsaharienne". A cela s'ajoutent les fonds d'aide nationaux qui sont créés comme le Fonds de promotion à l'industrie cinématographique et audiovisuelle (Fopica), au Sénégal, qui a participé à la production de Banel e Adama.
Cependant, quels que soient les efforts de la sélection officielle du Festival de Cannes et des sections parallèles, reste une prérequis : l'existence d'une industrie cinématographique dans les pays africains comme c'est le cas dans le nord du continent dont les productions sont souvent sélectionnées. Cannes ne constitue alors qu'une belle vitrine comme elle l'est déjà pour d'autres cinématographies. La présence, par exemple, de trois films italiens en compétition est ainsi un non-évènement puisque l'Italie est une grande nation de cinéma.
Liste non exhaustive des films africains présentés dans la sélection officielle du Festival de Cannes et dans les sections parallèles.
En compétition
Les Filles d'Olfa de Kaouther Ben Hania (Tunisie)
Banel e Adama de Ramata-Toulaye Sy (Sénégal)
A Un Certain regard
Augure de Baloji (RDC)
Les Meutes de Kamel Lazraq (Maroc)
Goodbye Julia de Mohamed Khordofani (Soudan)
Kadib Abyad (La Mère de tous les mensonges) de Asmae El Moudir (Maroc)
A la Quinzaine des cinéastes
Déserts de Faouzi Bensaïdi (Maroc)
Mamba Pierrette de Rosine Mbakam (Cameroun)
La maison brûle, autant se réchauffer de Mouloud Aït Liotna (Algérie, court métrage)
A la Semaine de la critique
I promise you paradise de Morad Mostafa (Egypte, court métrage)
A l'Acid
Machtat de Sonia Ben Slama (Tunisie)
Nome de Sana Na N’Hada (Guinée-Bissau)
Source: franceinfo