Les calculs trompeurs de Clément Beaune sur la liaison ferroviaire Roissy-Lyon
L’ancien ministre aux affaires européennes Clément Beaune, ici près de Ljubljana (Slovénie), en octobre 2021, affirme à tort qu’il était impossible de supprimer le vol Roissy-Lyon, faute de trajet en train équivalent en moins de 2 h 30. LUDOVIC MARIN / AFP
Le gouvernement se félicite d’avoir tenu sa promesse de supprimer les vols intérieurs quand une alternative ferroviaire de moins de 2 h 30 existait, même si la mesure ne concerne que trois liaisons, entre Paris-Orly et Bordeaux, Lyon et Nantes, pour certaines déjà fermées. En revanche, les principaux vols intérieurs au départ de Roissy-Charles-de-Gaulle sont maintenus.
« On assume que pour les correspondances à l’aéroport de Roissy, on ne casse pas certaines liaisons aériennes, sinon les grandes entreprises ne s’implantent pas à Lyon et Bordeaux, si vous n’êtes pas connectés à Roissy, parce que là, il n’y a pas d’alternative ferroviaire à moins de 2 h 30 », s’est défendu le ministre des transports, Clément Beaune, jeudi 25 mai, sur France Info.
2 h 25 en moyenne entre Lyon et Roissy
Cette affirmation a dû faire bondir les 45 millions de passagers annuels de la ligne Paris-Lyon, la plus fréquentée d’Europe. Parmi les 240 trains quotidiens qui parcourent ce tronçon, une liaison régulière directe dessert la principale gare de Lyon, Lyon-Part-Dieu, située en plein quartier d’affaires, depuis l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle. Le trajet dure en moyenne 2 h 25, le plus court étant de 2 h 01, soit 29 minutes de moins que le plafond que s’était fixé le gouvernement.
Clément Beaune peut-il l’ignorer ? Les autorités françaises avaient reconnu, le 21 juin 2022, dans une transmission à la Commission européenne, que « les trajets ferroviaires [desservant Lyon, ainsi que Rennes, depuis Orly] peuvent offrir des temps de parcours inférieurs à 2 h 30. »
A l’époque, Clément Beaune n’était pas encore ministre chargé des transports – il a été nommé le 4 juillet, deux semaines plus tard –, mais il était déjà ministre délégué chargé de l’Europe. Interrogé, le cabinet de M. Beaune n’a pas donné suite aux questions du Monde.
Un décret taillé pour sauver les vols Paris-Lyon
Le gouvernement réalise des contorsions pour sauver la liaison aérienne Roissy-Lyon. Dès sa demande auprès de la Commission européenne, il appelait à l’exclure de son plan d’interdiction des liaisons intérieures de courte durée, arguant que les dessertes ferroviaires de Rennes et Lyon « ne permettent pas d’accéder suffisamment tôt le matin à l’aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle (ou de Lyon-Saint-Exupéry, dans le cas de la ligne Lyon-Marseille), ou d’en partir suffisamment tard le soir ».
Un an plus tard, le décret d’application publié le 22 mai a aussi été rédigé de manière à épargner le trajet Roissy-Lyon des lignes interdites, avec un argument différent. Un passage de l’article 1 précise, en des termes peu intuitifs que « lorsque le plus important en termes de trafic des deux aéroports concernés est directement desservi par un service ferroviaire à grande vitesse, la gare retenue est celle desservant cet aéroport ».
Concrètement, pour comparer avec la ligne aérienne Roissy-Lyon, c’est la ligne de TGV Roissy-Saint-Exupéry que le décret choisit comme trajet ferroviaire de référence, plutôt que Roissy-Part-Dieu. Une option qui ne change pas grand-chose en termes de durée de trajet (1 h 54), mais beaucoup en termes de fréquence et d’amplitude horaire.
Le critère surprise des huit heures de présence sur place
En effet, le décret ajoute d’autres critères restrictifs. Outre l’existence très subjective d’horaires « satisfaisants », il précise que l’alternative ferroviaire à une liaison aérienne « doit permettre plus de huit heures de présence sur place dans la journée, tout au long de l’année ». Concrètement, un voyageur qui descendrait de son train à 9 heures du matin doit pouvoir repartir de cette même gare dans les huit heures, donc jusqu’à 17 heures.
Des conditions que coche aisément la liaison Roissy-Part-Dieu (arrivée avec le premier train à 9 heures, dernier départ en sens retour à 19 h 59). Mais pas celle entre Roissy et Lyon Saint-Exupéry : la connexion ferroviaire entre les deux aéroports propose au mieux une première arrivée à 14 h 30 et un dernier départ à 20 h 06, soit un peu moins de six heures sur place.
Dans les faits, rares sont les voyageurs à choisir le train pour se déplacer entre deux aéroports. Mais ainsi ficelé, le décret a permis de sauver la ligne aérienne Paris-Lyon, alors même qu’une alternative ferroviaire de moins de 2 h 30 existe.
Source: Le Monde