Vaisselle, aspi, lessive… Une appli peut-elle vraiment instaurer la paix dans le ménage ?
Quel couple ne s’est pas disputé à cause d’une machine mal étendue ou de la vaisselle qui traîne ? Spoiler : aucun. Des toilettes à récurer, un repas à cuisiner, la serpillière à passer… Autant de tâches domestiques ingrates qui sont souvent effectuées par les femmes au sein du couple hétérosexuel. Face à cet implacable constat, qui leste toujours un peu plus la charge mentale, l’Espagne se penche sur une solution : une application mobile chargée de rétablir l’équilibre sur les tâches ménagères. Cette initiative peut-elle marcher en France ? Ce genre d’outils peut-il permettre de combler l’écart ? Existe-t-il des biais ? 20 Minutes fait le point sur le dossier avec Alice Apostoly, cofondatrice de l’institut du genre en géopolitique.
L’appli peut-elle être déclinable en France ?
Le concept de l’Espagne, pionnière sur le traitement des inégalités hommes-femmes, est simple. « C’est une application qui va permettre de comptabiliser le temps que chacun investit dans les tâches domestiques », résume Angela Rodriguez, secrétaire d’Etat espagnole à l’égalité au micro de France Inter. Concrètement, l’application va fonctionner sur le même modèle que Tricount, un programme qui permet de partager les dépenses entre plusieurs personnes.
L’initiative est jugée intéressante par Alice Apostoly, mais elle ne lui apparaît pas comme une solution miracle. « Il faut un programme politique ambitieux pour se rapprocher d’un partage équitable des tâches », appuie-t-elle. Car le fossé à combler est encore profond en France. L’enquête « Emploi du temps » de l’Insee a d’ailleurs calculé que « les femmes consacrent 10h15 de plus que les hommes aux tâches domestiques ».
Un outil capable de réduire l’inégalité hommes-femmes ?
Près de sept Français sur dix ont déjà arrêté de se parler à cause d’une dispute liée aux tâches ménagères, selon une étude TaskRabbit et YouGov (2021). Pire, 2 % des personnes interrogées disent même avoir divorcé à cause de cela. Face à ce constat, « la valeur de cette application va surtout résider dans les données qu’elle pourra mettre en avant. Ce sera une autre bonne source de documentation, qui pourra alimenter un travail de plaidoyer et de sensibilisation que les mouvements féministes assurent déjà », prédit Alice Apostoly.
Les chiffres illustrent l’ampleur du gouffre à résorber pour obtenir l’égalité hommes-femmes. En Espagne, 45,9 % des femmes interrogées disent s’occuper de la majorité des tâches ménagères de leur foyer, contre seulement 14,9 % des hommes, selon une étude de l’Institut national de statistiques. En France, « les femmes accomplissent les deux tiers des tâches domestiques », toujours selon l’Insee. « Cela affecte leur carrière, leur santé mentale, leur vie quotidienne, leur possibilité d’avoir des hobbies et du temps à soi », rappelle notre spécialiste, qui insiste sur un point : dans un couple avec enfant, « la disparité des tâches s’aggrave de manière drastique après l’arrivée du premier né. Il faut des politiques de congés parentaux équivalents pour les deux parents, d’un meilleur accès à la garde d’enfant, une diminution du temps de travail sont des solutions concrètes, l’éducation des enfants ».
L’initiative comporte-t-elle des biais ?
« On connaît tous cette personne qui nous dit : ''je m’occupe de ranger la cuisine''. Sauf que ranger la cuisine, ça peut prendre vingt minutes, mais pour pouvoir le faire, il a fallu que quelqu’un d’autre aille acheter une éponge, un produit vaisselle. Cette charge mentale repose presque toujours sur les femmes, c’est ce que disent les sondages. » Chez Angela Rodriguez, le constat est clair. Pour la femme politique espagnole, les hommes vont devoir jouer le jeu afin de ne pas mettre en déroute le dispositif. « L’impact du dispositif va dépendre de la bonne foi des couples qui l’utilisent, commente de son côté notre experte. De nombreux phénomènes sont documentés, notamment l’incompétence stratégique, ou le manque de prise d’initiative (pour contourner des tâches rébarbatives). »
Autre source d’inquiétude : qui se chargera de remplir quotidiennement les informations sur l’application ? Mal utilisée, l’application pourrait entraîner une charge supplémentaire pour la femme. Une solution, sur le long terme : l’éducation, dès le plus jeune âge. « Par exemple, les femmes bénéficient moins souvent d’une pièce dédiée au travail (25 %, contre 39 % des hommes) à leur domicile. Donc ce n’est pas le temps resté à la maison, ce n’est pas la charge de travail, mais bien des biais cognitifs et des normes ancrées qui expliquent cet écart. Il existe une possibilité pour l’homme de prioriser son travail, et une attente envers la femme de prioriser son foyer. »
Source: 20 Minutes