Après un printemps compliqué, les hôpitaux bretons vont-ils passer l’été ?
« Les médecins remplaçants qui étaient chez nous ont vite trouvé du travail dans le privé ». À l’hôpital public de Noyal-Pontivy (56), le constat est amer pour Louis-Marie Jouanno, chef des urgences. L’application de la loi Rist, début avril, et son plafonnement des revenus des médecins intérimaires à 1 390 € pour une garde de 24 heures, a, selon lui, fait fuir une partie de ces derniers vers des horizons plus lucratifs…
Résultat : des trous béants dans son planning qu’il doit tenter de combler, sous l’œil de l’Agence régionale de santé (ARS). Et pour les patients centre-bretons, une conséquence concrète : un accueil de nuit aux urgences régulièrement chamboulé, par la nécessité d’appeler le 15 au préalable, comme à Quimper, fin mars. ?
Le Centre hospitalier du Centre-Bretagne fait partie de ?ces hôpitaux de petites villes bretonnes particulièrement touchés par les mesures d’économies sur l’intérim de la loi Rist. Un porte-parole de l’ARS reconnaît « certaines difficultés à trouver des médecins intérimaires, notamment sur les périodes de week-end prolongés »?.
Pas d’accouchement à Guingamp pendant deux mois
À Landerneau (29), le manque d’anesthésistes a nécessité de suspendre les accouchements pendant dix jours, durant la première quinzaine de mai. Les plannings de juin et juillet y sont quasiment bouclés mais la direction annonce disposer « d’assez peu de visibilité » pour août.?
Pire, à l’hôpital de Guingamp, les patientes ne peuvent plus mettre de bébé au monde depuis le 26 avril et pour deux mois, la faute à un effectif incomplet en sages-femmes, gynécologues obstétriciens et anesthésistes. Vent debout, l’intersyndicale guingampaise a tancé l’ARS pour avoir « nuit gravement à l’attractivité de notre hôpital », par son « refus passé et actuel (…) de se positionner pour un maintien inconditionnel de notre maternité dans le maillage de l’offre de soins des Côtes-d’Armor ».
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Constat tout aussi inquiétant à Redon (35), où l’hôpital fonctionne avec 40 % de médecins intérimaires, selon la CGT. Le service de gastro-entérologie et les urgences de nuit y sont fermés, rapporte Le Mensuel de Rennes.
Des « risques pour la continuité des soins »
Parmi les élus à s’être publiquement inquiétés des conséquences de la loi Rist, le sénateur LR du Finistère, Philippe Paul. Dans une question écrite au ministre de la Santé, François Braun, fin mars, il jugeait que, « les craintes de fermeture de services sont réelles, avec les risques qui en découlent pour la continuité des soins comme pour la prise en charge de nouveaux patients ».
En guise de réponse, l’ARS affirme être « mobilisée avec les communautés hospitalières et les fédérations, et en lien étroit avec les élus locaux, pour identifier et réduire l’impact de la mise en œuvre de ce plafonnement des rémunérations sur le système de santé ». L’agence de santé précise que « des plans de continuité d’activité territoriaux ont été élaborés » et que « des leviers d’action » ont été évoqués avec les directeurs d’établissements, comme, par exemple, des « contrats exceptionnels pour inciter les praticiens intérimaires à s’inscrire durablement dans des équipes hospitalières ».
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Malgré les efforts de tous bords pour boucher les plannings, les craintes sont particulièrement vives pour cet été puisque les remplacements des médecins, auxquels s’ajoutent ceux des infirmiers et aides-soignants en congés, s’annoncent compliqués. À la maternité de Guingamp, l’intersyndicale est fataliste : « Le problème de recrutement ne sera pas résolu durant les deux mois de suspension ! Sans annonce officielle rapide de l’ARS en faveur de notre maternité et de la pérennité de son autorisation d’activité de soins de gynécologie-obstétrique en hospitalisation complète, il est fort à parier que le temporaire devienne du définitif ».
À Carhaix (29), la difficulté à recruter des infirmiers va nécessiter le regroupement des services cardiologie et de chirurgie et occasionner neuf suppressions? de lits temporaires.
Une cellule d’appui de l’ARS pour cet été
Toujours sur le sujet estival, un imbroglio entre direction et syndicats s’est fait jour à l’hôpital Yves-Le Foll de Saint-Brieuc : le 16 mai, la CGT y a annoncé un « été difficile » et fustigé la direction de l’établissement pour avoir ressorti du placard une prime de 350 euros brut pour reporter ses vacances d’été, « sur la base du volontariat ». Contactée, la direction a nié le renouvellement de cette prime mais a reconnu une « situation tendue », « notamment sur le secteur Ehpad », dans une moindre mesure, toutefois, que l’année dernière.
Au CHU de Rennes, l’été s’annoncerait aussi un peu mieux qu’en 2022, notamment grâce à un effort de recrutement de paramédicaux. L’été dernier, la fin de l’éprouvante crise de la covid-19 a en effet donné envie aux jeunes diplômés de profiter de leurs vacances plutôt que d’assurer des remplacements, remarque la direction du CHU de Brest, qui connaît également « quelques fragilités » mais une situation en amélioration pour cet été 2023. Une source syndicale y décrit toutefois des tensions vives liées au fait que « pour avoir des vacances avec leur conjoint, des agents sont obligés de fractionner leurs trois semaines de congés », ce que ne confirme pas la direction.
Pour sa part, l’ARS indique travailler « pour consolider encore les équipes fragiles » et avoir mis en place « une cellule d’appui (…) pour répondre à d’éventuelles situations de tensions qui n’auraient pu être anticipées et qui feraient l’objet d’une communication dans des délais compatibles avec des réorganisations potentielles ».
Source: Le Télégramme