Festival de Cannes 2023 : Avec "La Chimère", la cinéaste Alice Rohrwacher fait de l'art la passerelle qui relie vivants et morts
Dans son dernier film, Alice Rohrwacher emmène les cinéphiles à la découverte du monde des "tombaroli", ces pilleurs de tombes étrusques en Italie qui nourrissent le trafic d'œuvres d'art.
Un visage de femme. Un homme qui rêve dans un train. C'est ainsi que la cinéaste italienne Alice Rohrwacher introduit le héros de son dernier film, La Chimère, en compétition pour la Palme d'or de la 76e édition du Festival de Cannes qui s'achève le 27 mai. Arthur, incarné par un Josh O’Connor lunaire, vient de sortir de prison et regagne la petite localité, au bord de la mer Tyrrhénienne, où il vit en Italie. L'accueil qu'il reçoit ne semble pas du tout lui convenir. Mais très vite, celui qui a le don de repérer le vide retrouve la bande de pilleurs de tombes étrusques et de merveilles archéologiques, les "tombaroli", à laquelle il appartient et dont il est le "maestro". Contrairement aux apparences, l'homme qui ne quitte jamais son costume est un vrai amoureux de l'art.
Après Heureux comme Lazzaro (Prix du scénario en 2018) et Les Merveilles (Grand prix du
Festival de Cannes 2014), Alice Rohrwacher soumet à la compétition cannoise une immersion dans une activité qui questionne à la fois le rapport à la mort et à l'art. L'activité des "tombaroli", qui saccage des tombes vieilles d'au moins 2000 ans, nourrit des réseaux de trafic d'objets d'art qui trouvent preneurs parmi les collectionneurs. Le sujet est, sur bien des plans, grave, mais il s'égrène dans une atmosphère légère où l'on chante et danse, porté tout simplement par la vie. Du moins, notamment par la joie de vivre d'Italia (Carol Duarte), la femme de ménage de Flora (Isabella Rossellini), pittoresque vieille dame qui partage son toit avec Arthur. Le jeune homme anglais, qui convoque pourtant dans ses rêves son amour perdu Beniamina, ne semble pas pouvoir résister au charme de la pétillante mère de deux enfants qu'est Italia.
Le prix du passage
Alice Rohrwacher se joue des cadres, recourt à une mise en scène très ludique – comme ces policiers qui pourchassent en accéléré des voleurs – pour nourrir un récit qui navigue entre deux mondes parallèles : celui des vivants et des disparus. Les objets d'arts trouvés dans ces sculptures étrusques sont censés être le prix du passage vers l'autre monde, afin de racheter l'âme des défunts. La cinéaste semble, par ailleurs, opposer le vide que l'on laisse s'installer dans nos existences – métaphore d'une gare désaffectée qui appartient à la fois à tous et à personne – à la profusion d'objets du quotidien que retrouvent les pilleurs dans les tombes ciblées.
Finalement, La Chimère s'avère une jolie balade, parfois souterraine (espace qu'Alice Rohrwacher affectionne puisqu'elle filmait déjà une grotte dans Les Merveilles), aux accents patrimoniaux et pleine de vague à l'âme, dans l'univers toujours très pigmenté qui distingue la cinéaste italienne. L'équipe du film a reçu une chaleureuse ovation à la fin de la présentation du long métrage, dans l'après-midi du 26 mai, pour avoir partagé son rêve chimérique.
La fiche
Genre : comédie dramatique
Réalisatrice : Alice Rohrwacher
Acteurs : Josh O’Connor, Carol Duarte, Isabella Rossellini, Alba Rohrwacher et Vincenzo Nemolato
Pays : Italie, France et Suisse
Durée : 2h13
Sortie : 6 décembre 2023
Distributeur : Ad Vitam
Synopsis : De retour dans sa petite ville du bord de la mer Tyrrhénienne, Arthur retrouve sa bande de Tombaroli, des pilleurs de tombes étrusques et de merveilles archéologiques. Arthur a un don qu’il met au service de ses amis brigands : il ressent le vide. Le vide de la terre dans laquelle se trouvent les vestiges d’un monde passé. Le même vide qu’a laissé en lui le souvenir de son amour perdu, Beniamina.
Source: franceinfo