Cannes 2023 : le palmarès était presque parfait
Par Adrien Gombeaud
Publié le 28 mai 2023 à 9:07 Mis à jour le 28 mai 2023 à 9:17
La sélection du 73e festival de Cannes semblait pratiquement organiser le choc du XXe et du XXIe siècle. Ramata Toulaye Sy, réalisatrice de « Banel et Adama », n'était pas née quand Ken Loach ou Marco Bellocchio étaient déjà depuis longtemps des cinéastes établis. Ruben Östlund et les membres du jury étaient donc invités à saluer les derniers films des grands cinéastes d'hier et à sacrer ceux de demain. C'est exactement ce qu'il a choisi de faire samedi soir, avec une belle rigueur.
Après un palmarès 2022 illisible, débordant d'ex aequo et de prix ajoutés à tire-larigot, Östlund et sa petite bande ont su composer un ensemble d'une remarquable solidité. Le 73e festival de Cannes nous lègue ainsi une photographie assez précise de la situation du cinéma d'auteur en 2023. Il y a ce que l'on aime, ce que l'on aime moins, mais au-delà des goûts, deux grandes tendances se distinguent.
Ciné-musée et ciné-bistro
Le Grand Prix salue avec « The zone of interest », le cinéma, cérébral, conceptuel et incroyablement contrôlé de Jonathan Glazer. Le Prix de la mise en scène décerné à Trân Anh Hùng pour « La Passion de Dodin Bouffant » récompense la tradition du film en costume, bercé de clairs-obscurs travaillés à la façon des peintres flamands. Chacun à sa manière, les deux metteurs en scène incarnent un cinéma monumental. Celui de la galerie d'art branchée pour l'Anglais, celui du musée patrimonial pour le Français.
Aki Kaurismäki avec sa douce folie et sa fausse désinvolture, représente, lui, le cinéma des bricolos et des doux-dingues, le cinéma du bistro. « Les feuilles mortes », l'un de rares films vraiment amusants d'une édition désespérément sérieuse, remporte le Prix du Jury. Absent, l'auteur du « Havre » avait juste laissé à ses comédiens un mot à transmettre au festival et à son public : « Twist and shout ! ».
Le grand acteur japonais Kôji Yakusho décroche le prix d'interprétation masculine pour son rôle quasi-muet dans « Perfect Days » de Wim Wenders. Le prix d'interprétation féminine remis à la comédienne turque Merve Dizdar pour « Les herbes sèches » de Nuri Bilge Ceylan, récompense une excellente composition… dans un film qui avait bien d'autres qualités.
La plus belle interprétation du festival restera néanmoins celle de Sandra Hüller en épouse accusée de meurtre dans « Anatomie d'une chute », (elle était également à l'affiche de « The Zone of interest »). Un obstacle de taille s'est néanmoins dressé entre l'actrice et le prix qui lui était destiné. Son film, « Anatomie d'une chute », devait gagner la Palme d'or.
Le jury de Ruben Östlund sacre une oeuvre brillante et prenante de bout en bout. Justine Triet joue sur les gammes du film criminel et du film de procès. Elle dissèque les thèmes du couple, de l'enfance, de la maternité, du secret, du déracinement… et signe un film magnifique sur les images, les souvenirs et la puissance de l'imaginaire.
Östlund et son jury ont surtout eu le bon goût d'offrir une palme à un film d'auteur qui pourrait devenir aussi un film populaire. « Anatomie d'une chute » se place en effet à mi-chemin du musée et du bistro. Il sortira le 23 août.
La palme qui le vaut bien
Encore une fois, ce palmarès se partage entre l'Europe et l'Asie. Parmi les plus beaux films vus à Cannes cette année figurait le nouveau Martin Scorsese « Killers of the flower moon », hélas hors compétition. Et l'on songeait samedi à ce que la présence de Scorsese, De Niro ou DiCaprio, dans la salle ou sur la scène, aurait pu apporter comme frisson à la soirée. Hélas, Hollywood, la plus grande usine à cinéma du monde, paraît s'être à jamais évaporé du plus grand festival du monde.
Le cinéma français s'apprêtait donc à rafler deux des quatre prix les plus prestigieux de l'édition 2023 quand, dans ses dernières minutes, la cérémonie nous a proposé une chute inattendue. Jane Fonda, qui devait remettre la Palme d'or, délivrait un discours émouvant sur l'évolution de la place des femmes dans le cinéma… pour mieux vanter largement les mérites de la grande marque de cosmétiques dont elle est l'égérie.
Passé cette page de pub imposée par la star d' « On achève bien les chevaux » et de « Barbarella », Justine Triet montait sur scène, remerciait son équipe, le jury et le festival. Puis, la cinéaste reprenait son souffle avant de se lancer dans une violente sortie sur la réforme des retraites et une dénonciation v éhémente de la « marchandisation de la culture que le gouvernement néolibéral défend », sans trop s'éloigner d'une palme dont le design affiche bien en évidence la signature d'un célèbre joaillier suisse.
L'immense confusion de l'instant nous renvoyait très précisément à celle de notre époque… et au cinéma de Ruben Östlund . Car sur la scène du Palais des festivals, nous étions soudain au musée d'art contemporain « The Square » (Palme d'Or 2017) ou au défilé de mode de « Sans Filtre » (Palme d'or 2022). En remettant une nouvelle palme, le président du jury 2023 semblait en gagner une troisième.
Source: Les Échos