Dans le port italien de Piombino, le " Golar-Tundra ", navire de la discorde
Des hauteurs de Piombino, le paysage portuaire qui s’étire vers le sud, le long de la côte toscane, raconte en abrégé toute l’histoire d’un territoire industriel à l’abandon, une histoire qui est aussi celle de l’Italie, de l’Europe. Dans la lumière dorée du soir, le regard s’accroche d’abord sur l’immense épave verticale de l’ancienne aciérie, dont la silhouette massive cache mal les intérieurs et leur délabrement rouillé.
Il traverse ensuite des étendues indistinctes pour se poser sur le haut-fourneau, définitivement éteint un jour de printemps 2014, après que des générations d’ouvriers se sont succédé à son emplacement pour extraire, dans la chaleur de la combustion de la coke, la fonte du minerai de fer.
S’arrêtait une machine titanesque de transformation du monde, née en même temps que l’Italie contemporaine, dans les années 1860. Les pionniers de la sidérurgie italienne avaient alors installé leurs premiers fours sur le site même où les Etrusques développaient leur métallurgie, exploitant comme eux les gisements abondants de l’île d’Elbe toute proche. Ne reste de cette histoire qu’une friche industrielle vaste comme une petite ville en ruine.
Depuis la crise de la sidérurgie et les privatisations, le site industriel qui a accompagné le développement de la Péninsule, en produisant notamment les rails des voies de chemin de fer qui en ont unifié le territoire, a connu les passages successifs et également décevants d’investisseurs italiens, russes, algériens et indiens.
A la marge du site, on aperçoit encore les toitures blanches d’un des derniers établissements industriels encore en activité, détenu depuis 2019 par Liberty Steel, le groupe de l’industriel britannique d’origine gujaratie Sanjeev Gupta. La sirène d’un bateau retentit au-dessus du paysage. C’est un ferry qui appareille du terminal de voyageurs, en direction de l’île d’Elbe, destination populaire pour des touristes italiens et étrangers qui ne s’arrêtent pas toujours à Piombino, malgré le charme de sa vieille ville.
Reconfiguration des routes globales de l’énergie
De l’autre côté de la baie, face aux traces du passé industriel, l’histoire en train de s’écrire prend la forme d’un navire de 300 mètres de long et de 40 mètres de large, le Golar-Tundra, une unité flottante de stockage et de regazéification, que les effets d’une guerre pas si lointaine ont poussée du port de Singapour à celui de Piombino.
Son arrivée, à l’aube du 20 mars, a conclu une année de polémiques politiques et de mobilisations populaires confrontant la défiance d’un territoire déjà pollué et sinistré aux choix stratégiques de l’Etat italien, dans le contexte d’une reconfiguration des routes globales de l’énergie. Dans le sillage de l’agression russe contre l’Ukraine, Piompino l’oubliée a concentré à elle seule toutes les tensions de l’époque.
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Source: Le Monde